Cannes 2011 : critique The Tree of Life

 

Un film de Terrence Malick. Avec Brad Pitt, Sean Penn, Jessica Chastain. Sortie le 17 mai 2011.

 

Terrence Malick revient dans une œuvre jusqu’au boutiste qui risque d’en laisser plus d’un sur le carreau.

 

Note : 5/5

 

Il est des films dont on appréhende de parler avant même qu’ils atteignent les salles obscures. Pourquoi ? Car l’on sait dores et déjà qu’ils brasseront des thèmes aux tenants et aboutissants tellement énormes qu’ils en deviennent vite intimidants. The Tree of Life est de ceux là et bien plus encore. Aussi, la chronique qui suit ne pourra se révéler que superficielle au regard de tout ce qu’évoque le nouveau film de Terrence Malick. Pas de cirage de pompe juste un fait froid et objectif. Irracontable, The Tree of Life est avant tout une expérience qui se vit, se regarde et s’écoute. Autant le dire tout de suite, cet arbre là risque bien de décontenancer jusqu’aux fans les plus hardcores du grand Terrence. Car si le cinéaste a toujours transposer allier contemplation élégiaque et enjeux sommes toutes cinématographiques avec le talent qu’on lui connaît, ce fut toujours au travers de contextes bien spécifiques : romance criminelle (La Balade Sauvage), drame social (Les Moissons du ciel), film de Guerre (La Ligne rouge) ou encore histoire d’amour sur fond de conquête du Nouveau Monde (Le Nouveau Monde). Ici, le spectateur n’a aucun élément réellement tangible auquel se raccrocher si ce n’est la chronique d’une enfance traduite sous le sceau de l’abstraction. Or, pour apprécier pleinement l’invitation de Malick il faut accepter cette absence totale de cadre et l’idée de n’avoir a aucun moment recours à un quelconque filin de sécurité. Le pari est risqué certes mais éminemment payant pour quiconque abattra ses défenses et se laissera transporter par cet étonnant voyage.

 

 

© EuropaCorp Distribution

 

The Tree of Life pourrait se définir comme une mélodie avec ses mouvements joints et disjoints, amples et minimalistes. Tout y est de l’ordre de la composition à la fois picturale et musicale. La première partie, monumentale, immerge le spectateur dans un flot d’images à la beauté incandescente. Malick sonde les cieux et contemple le monde, la nature, l’univers comme jamais personne auparavant. L’air de rien, le réalisateur raconte l’histoire de la vie au sens primaire et minéral du terme  non pas avec le  regard du cinéaste omniscient mais avec celui de l’Homme curieux de cette petite étincelle qu’est l’existence. Une approche « céleste » qui rappelle énormément le sublime Baraka. Aux mauvaises langues qui ne manqueront pas d’attaquer cet esthétisme « spatiale » ayant  plus sa place au Futuroscope que dans une salle de cinéma, on pourra arguer nombre de choses à commencer par le refus de Malick de faire dans la démonstration facile. D’une beauté à faire pleurer les anges, chaque image a un sens caché et traduit une émotion que le spectateur reçoit de plein fouet tel un SCUD sensoriel assené avec une divine subtilité. Une douce symphonie pastorale convoquant tous nos sens même les plus cachés et magnifié par la partition d’Alexandre Desplat qui trouve ici son plus beau écrin. La création sous toutes ses formes y est ici disséquée jusqu’à se cristalliser dans une seconde partie où la cellule familiale sert de point de jonction aux réflexions hautement mystiques du réalisateur. Cette même vie aux intenses impulsions prend enfin forme sous nos yeux par le prisme de Jack, jeune garçon vivant au rythme des tumultes émotionnels submergeant sa famille. C’est peut être à ça que le spectateur non initié pourra se raccrocher :  cette faculté extraordinaire qu’à le réalisateur de capter ce qui fait l’essence d’un être en s’appuyant sur une foule d’éléments du quotidien étonnamment proche de nous. Un peu comme si il parvenait à prendre le pouls de chacun en nous ramenant à des expériences, des sensations déjà vécues ou ressenties.

 

© EuropaCorp Distribution

 

Une optique que d’aucuns auront vite fait de rapprocher du récent Enter The Void de Gaspar Noe. A contrario de Noe qui parvient, non sans mal, à déceler une forme de beauté dans la crasse (témoignant par là même d’une certaine fascination pour celle-ci), Malick, lui, s’intéresse à la beauté pure, originelle, dénichant celle-ci dans le moindre petit recoin de terre ou rayon de soleil. Pour lui, le beau porte l’immuable masque du muet. C’est peu dire alors qu’en matière de mysticisme, The Tree of Life transcende The Fountain dont il pourrait représenter le pendant plus mature. Car si dans le film d’Aronfosky, la quête d’absolu est une fin en soi dans celui de Malick elle est au centre d’une réflexion que n’occulte pas une certaine spiritualité. Un dernier adjectif qui a ici toute son importance tant The Tree of Life peut etre aisément, et à tort, qualifié de bondieuserie prêchi-prêcha. Seulement voilà: il est ici plus question de religion au sens spirituel que dogmatique. Si Malick ne remets jamais vraiment en cause sa foi, il la questionne toutefois ardemment par l’entremise de Jack nous rappelant par là même que ses doutes sont le lot de tout mortel s’interrogeant sur sa place et celle des autres dans le monde.

 

© EuropaCorp Distribution

 

Mais The Tree of Life ne se résume pas à un étalage de réflexions abstraites mais fonctionne et surtout par sa propension à ne jamais oublier l’Homme. Car si celui-ci se retrouve ici noyé dans une existence qu’il peine à comprendre, il existe bel et bien parfaitement tangible au travers des imperfections qui le caractérisent. Au travers d’un récit initiatique sur la perte d’innocence et de repères, Malick dresse une galerie de personnages terriblement intéressants car fonctionnant par strates. Mr O’Brien (Brad Pitt) véhicule l’image d’un homme autoritaire mais un simple regard, une caresse suffisent à nous faire comprendre l’affection qu’il porte à ses enfants. De même que le sourire solaire de Mrs O’Brien (Jessica Chastain) suffit à en dire plus que n’importe quel monologue. Des instantanés de vie comme ceux là, The Tree of Life en contient à foison si bien que certains pourront y trouver là une certaine lassitude, un faux  ventre mou qui dissimule en fait une mécanique parfaitement huilée. « Sans amour, la vie passe comme un éclair » souffle dans un murmure irréel la belle Jessica Chastain, cette phrase pourrait bien servir de leitmotiv au film dont le rythme est mesurable à l’amour inconditionnel que les  membres de cette famille se portent.  D’une très grande fragilité, The Tree of Life porte les stigmates d’une existence en perpétuelle mouvement. Un film en état de grâce qui, non content de nous transporter de la manière la plus inattendue qui soit, porte sur l’Homme et l’Univers un regard unique. Aussi beau que précieux.

 

A la fois aérien et terrien, The Tree of Life est une magnifique ode à la vie appuyée par des images d’une beauté bouleversante. Une incroyable claque !