Un film de Terence Davies. Avec Rachel Weiz, Tom Hiddleston , Simon Russell Beale. Sortie le 20 juin 2012
Dans une Angleterre éclairée à la bougie des années d’après-guerre, Terrence Davies signe une œuvre en forme d’allégorie, d’Eros à Thanatos en passant par le pathos qui s’invite à l’heure du thé.
Note : 3/5
Tourné en vingt-trois jours à peine, The Deep Blue Sea est adapté de la pièce de théâtre éponyme de Terence Rattigan sur les affres amoureux d’un trio dans les ruines du Londres d’après-guerre. Même en sachant que son réalisateur en a retravaillé la structure pour la transposition filmique, le film de Davies est empreint de cette ambiance calfeutrée très théâtrale faite d’espaces clos, de mobilier figé et de longs silences. Mais le réalisateur emprunte également à son propre vécu pour donner à son film une atmosphère intime et familière. Terrence Davies a grandi dans l’Angleterre des fifties, à l’époque où l’on chantait l’air de Molly Malone dans les pubs pour oublier les bombardements et que seul le grésillement de la radio venait perturber le tic-tac des horloges dans les salons au papier peint jauni plongés dans la semi-obscurité du brouillard londonien. En puisant tour à tour dans ses souvenirs personnels comme dans ses références cinématographiques (Brève Rencontre, David Lean), et par son choix de fragmenter la narration, suivant un fil rouge sans cesse tordu par le poids des souvenirs, Terrence Davies livre une œuvre en forme de rêverie intemporelle et déchirante sur le sentiment amoureux. Rachel Weisz incarne avec une douloureuse justesse Lady Collyer, cette femme mariée qui s’éprend d’un ancien soldat. Une aventure passionnelle et tumultueuse qui la mène à des comportements pour le moins erratiques. L’époux blessé, la femme adultère et l’amant fougueux se croisent, s’affrontent et se heurtent dans un trio flirtant avec le mélodrame. Ils portent chacun en eux une forme d’amour contrarié, une souffrance incomprise par l’autre en face, insondable comme les profondeurs de la mer. Pour ce film poignant et douloureux, Terrence Davies a rassemblé deux acteurs aussi élégants que doués. Qu’elle soit Hypatie chez Amenabar (Agora) ou Kathryn Bolkovac pour Larysa Kondracki (The Whistleblower, récemment primé par le Prix Thriller au 30ème BIFFF à Bruxelles), Rachel Weisz possède la beauté et l’aura particulière qui font d’elle une actrice idéale pour ces rôles de femmes déterminées et tragiques, définitivement singulières ; Hester Collyer ne fait pas exception.

Face à elle, Tom Hiddleston (The Avengers) prouve qu’il n’est pas uniquement fait pour incarner des Princes des ténèbres; il peut également endosser des rôles d’hommes fougueux, de soldats que le désœuvrement rend ivres et aigres, des rôles de composition dramatiques déchirants, des scènes intimes autour d’un lit défait et d’une valise pleine. Les plans d’une lenteur accablante où la caméra balaye délicatement du regard les rideaux sombres et les miroirs ternis, la narrativité entrecoupée de flashbacks, le tweed rugueux et les talons qui claquent sur le bitume londonien rappellent, par moments, ce que Tom Ford avait fait du roman A Single Man de Christopher Isherwood dans son adaptation filmique de 2009. Mais bien qu’il soit ancré dans un espace-temps précis, le filmage de Davies confère à cette œuvre une aura intemporelle, au moins aussi intemporelle que la souffrance amoureuse et ses nombreuses représentations. The Deep Blue Sea ferait penser à une Madame Bovary croisée avec Les Souffrances du Jeune Werther, le tout joué dans le décor sartrien de Huis-Clos. Dans son traitement la douleur de l’amour tout comme de celle de la mort. Terrence Davies signe ici, ainsi qu’il l’a dit lui-même, un film « fait avec le cœur » dans lequel la douceur pâle de l’intime se mêle à la douleur sombre de la solitude. Son film touchera au cœur tous ceux qui ont connu le cri déchirant de la peine amoureuse, ténu comme le gémissement des violons du concerto de Samuel Barber qui accompagnent les héros sombrant dans le désarroi. Malgré cette sincérité bouleversante et ce travail minutieux de mise en scène qui font de The Deep Blue Sea un film difficile à déprécier, on peut lui reprocher d’être un poil excessif voire grandiloquent dans son exécution. N’est pas Tristan et Isolde qui veut, et même s’il en emprunte la musique, le cinéma n’est pas l’opéra. Bien que souvent justes et touchants, la lenteur de ses plans en est parfois éprouvante, et la dimension tragique tirant un peu trop vers le pathos pèse parfois trop lourdement sur l’expérience visuelle du spectateur.
Une œuvre dont la beauté n’a d’égal que la tristesse : lent, dur et douloureux comme une peine d’amour, The Deep Blue Sea est une sorte de fable intimiste et mélancolique, portée par des acteurs de talent.