Cannes 2016 : Séance de rattrapage – Ma Loute

 

Un film de Bruno Dumont. Avec Fabrice Luchini, Valeria Bruni Tedeschi, Juliette Binoche. En salles depuis le 13 mai 2016.

 

Après Le P’tit Quinquin, Bruno Dumont continue dans la même veine burlesque pour nous livrer une farce surréaliste dans laquelle il s’attaque entre autres à la bourgeoisie de 1910. Outrancier mais amusant.

 

 Note : 3/5

 

Il y a quelques temps, le cinéma de Bruno Dumont, de grande qualité, était austère et plombant. Ses films, pour la plupart des tragédies sociales ou mystiques, portaient sur les défauts de la nature humaine (La Vie de Jésus, L’Humanité). En 2014, le cinéaste a opéré un sérieux changement de ton en adoptant celui de la comédie loufoque et absurde dans la série télé Le P’tit Quinquin. Alors qu’on pensait à une simple parenthèse, il continue dans le registre comique avec Ma Loute, un festival de dialogues, de situations et de personnages absurdes rappelant l’univers du burlesque. Pourquoi ce virage radical ? Le cinéaste l’explique par son sentiment d’être arrivé au bout de quelque chose et par l’envie de s’aventurer ailleurs, désirant traiter des mêmes sujets par la métaphore et non plus de manière frontale. On aimerait bien voir les Frères Dardenne emprunter le même chemin… Les spectateurs et les critiques qui reprochaient à Dumont de montrer sous un mauvais jour les « petites gens » doivent être contents : la bourgeoisie en prend aussi plein la gueule. S’il s’intéresse toujours aux gens « pauvres » du Nord représentés ici par les Brufort, une famille de pêcheurs cueilleurs de moules et passeurs de la baie de Slack, il fait entrer en scène une famille de bourgeois timbrés et dégénérés venus passer l’été dans leur maison de vacances de Wissant, les Van Peteghem.  Une double intrigue s’ajoute à cette satire sur la lutte des classes : l’histoire d’amour entre Ma Loute, l’aîné des enfants Brufort, et Billie, la nièce androgyne de Monsieur Van Peteghem, et une série de disparitions mystérieuses sur lesquelles enquête un duo de policiers incompétents.

 

Tous droits réservés
Tous droits réservés

 

En compétition au Festival de Cannes, Ma Loute n’a pas laissé indifférent les critiques et les festivaliers. Les uns y ont vu une facétie insupportable, les autres un chef d’œuvre de liberté, d’humour noir et de poésie. Notre avis à nous est mitigé. Le film a des qualités et des défauts. Le jeu de Fabrice Luchini, Valeria Bruni Tedeschi, Juliette Binoche et Jean-Luc Vincent (Paul Claudel dans Camille Claudel, 1915) qui incarnent les Van Peteghem est volontairement outrancier dans le but de souligner le ridicule de leurs personnages, métaphore d’une bourgeoisie décadente. La frontière entre le jeu et le surjeu est si ténue qu’on peut les trouver soit drôles, soit fatigants. A chacun de se faire son opinion. Il est en tout cas amusant de voir Juliette Binoche dans un rôle à contre-emploi de « Castafiore » azimutée. Le comique de répétition ne fonctionne pas complètement. La lenteur inhérente au cinéma de Dumont rend parfois le temps long. Le portrait des Brufort est un peu trop chargé (on ne vous dit pas en quoi). En revanche, le long-métrage a des qualités indéniables. La mise en scène et la photographie avec les belles images de la baie de Slack en font partie. Il y a aussi quelques envolées poétiques, tels les moments romantiques entre Ma Loute et Billie, et des scènes surréalistes à la Luis Buñuel. L’hommage vibrant au burlesque est souvent réussi. Les acrobaties et la façon des comédiens d’occuper l’espace nous évoquent les films de Mack Sennett et ceux avec Harold Lloyd. Le travail sur le son en post-synchronisation et l’absurdité et la cacophonie des dialogues rappellent le cinéma de Jacques Tati. Quant à l’inspecteur Machin et son adjoint Malfoy (Didier Despres et Cyril Rigaux), formidable duo à la Laurel et Hardy, ils mériteraient un spin-off. Après cette fantaisie noire mais sympathique, on est curieux de voir ce que sera le prochain Dumont. Il s’agirait d’une comédie musicale se déroulant au Moyen-Age avec des chansons pop. Apparemment, il n’a pas fini de nous surprendre…

 

Sans être un chef d’œuvre, le nouveau Dumont est à voir pour sa drôlerie, sa fantaisie déroutante et la qualité de sa réalisation.