Critique : Big Eyes

 

Un film de Tim Burton. Avec Amy Adams, Christoph Waltz, Danny Huston. En salles depuis le 18 mars 2015.

 

 

Après s’être perdu au pays des merveilles, Tim Burton revient en terrain connu dans un biopic beaucoup trop sage.

 

 

Note : 2,5/5

 

Mais où est donc passé Tim Burton ? Cette question, les aficionados se la posent depuis… allez soyons honnêtes presque dix ans. Il faut dire que depuis Sweeney Tood, le monsieur a eu un peu de mal à se renouveler. Et ce n’est pas l’adaptation live de Dumbo, son prochain film, qui va arranger les choses. Que peut-on donc attendre de Big Eyes ? Beaucoup en fait tant cette histoire vraie d’artiste spoliée de ses œuvres par un mari sans scrupules semble résonner comme une allégorie de la carrière de Burton condamné à céder inlassablement aux sirènes disneyennes et/ou à se caricaturer avec des projets certes plus personnels mais auxquels manquaient une composante essentielle : le cœur. Vu sous cette lorgnette, Big Eyes a tout du projet un peu balourd mais sincère. Et sincère, le film l’est… du moins en partie quand il ne laisse pas l’académisme prendre le dessus sur un versant plus sombre. Tour à tour allégorie assez mignonne sur la condition de la femme dans l’Amérique de la fin des années 50 , satire mordante sur le monde de l’art et critique acerbe sur l’industrialisation du génie créatif, Big Eyes jongle constamment entre premier et second degré sans jamais trop savoir à quel saint se vouer. Plus qu’un nouveau cru burtonien, le film se veut avant tout le reflet de la profonde schizophrénie dans laquelle s’est enfermé son auteur depuis un petit moment maintenant. Dr Tim aurait bien aimé faire de Big Eyes son «  film à oscars », celui qui aurait enfin fait de lui un cinéaste respectable (il se sera contenté de deux nominations aux Golden Globes dont un gagné par Amy Adams) tandis que le foufou Mr Burton y voit ici un joli terrain de jeu prompte à se réapproprier un univers dont il se sera fortement inspiré tout le long de sa carrière.

 

© Studio Canal
© Studio Canal

 

Malheureusement, à l’exception de quelques scènes purement « burtoniennes », Big Eyes fait office de biopic bien sage, somme toute académique, réalisé avec talent mais sans audace. D’autant plus étonnant qu’au scénario on retrouve le duo Scott Alexander/ Larry Karaszewski (Man on the moon, Larry Flynt…), spécialistes des biopics d’illustres marginaux avec qui Burton avait signé l’un de ses plus beaux films : Ed Wood. Las, la tendresse, la folie inhérente à leur précédente collaboration passent ici totalement à l’as au profit d’un résultat beaucoup plus consensuel. A l’image du personnage interprété par une Amy Adams particulièrement transparente et fade, le film paraît souvent comme effacé, écrasé sous le poids des conventions et du politiquement correct. Une impression cristallisée dans cette scène sirupeuse où l’actrice peint sur fond de Big Eyes, chanson de Lana Del Rey dont les paroles surlignent lourdement le ressenti du personnage de Margaret Keane. Heureusement que Christoph Waltz est là pour insuffler au film cette touche de folie salutaire. Cabotin à souhait, tour à tour drôle et inquiétant, il fait plus d’une fois basculer Big Eyes dans une tonalité plus sombre, confirmant ainsi la profonde volonté de Burton de faire de son film un conte moderne sur la vanité. Si son jeu parfaitement outrancier et déjà vu fatigue à la longue (n’est pas Tarantino qui veut), il n’en reste pas moins l’une des rares bribes de personnalité dilué dans un ensemble beaucoup trop académique et passe partout. Comprendre par là que la Burton touch difficilement décelable ne ressort qu’à de trop rares moments, ces instants précieux où l’on se dit que le cinéaste a enfin quelque chose de nouveau à nous dire. C’est en effet le cas, encore aurait-il fallu qu’il empêche son honorable double angélique, Dr Tim, de prendre le dessus trop souvent. Quand on vous disait que Big Eyes est un film bicéphale…
 

Ni bon ni mauvais, Big Eyes est une oeuvre qui hésite beaucoup trop sur l’histoire qu’il veut nous raconter et finit par s’échouer sur les cimes du film bien sous tous rapports.