Critique express : Sicario

 
Un film de Denis Villeneuve. Avec Emily Blunt, Josh Brolin, Benicio Del Toro. En salles depuis le 7 octobre 2015.

 

Denis Villeneuve prend les armes dans un faux film de guerilla urbaine anti-spectaculaire mais proprement affolant.

 

Note : 4/5

 

Sicario c’est d’abord une scène d’ouverture ébouriffante, brute de décoffrage, saisissant préambule à un terrifiant voyage au cœur des ténèbres. Après Prisoners et Enemy, Denis Villeneuve poursuit son exploration de l’âme humaine dans ce qu’elle a de plus sombre et ambivalente trouvant dans l’univers impitoyable des cartels un point de cristallisation parfait. Anxiogène au possible, habité par une partition absolument glaçante que la superbe photo de Roger Deakins met intelligemment en valeur, le film nous embarque dans une zone de non droits proche de l’état de guerre. Les loups se mangent entre eux sous l’œil effarée d’un « petit chaperon rouge » (Emily Blunt) dont les valeurs seront bousculées plus d’une fois. Ancrage nécessaire au spectateur, elle représente en apparence, l’antithèse quasi parfait de Maya (Jessica Chastain) dans Zero Dark Thirty dont le déterminisme et la froideur parfois aveugle fait office de judicieux effet miroir. La comparaison avec le chef d’œuvre de Kathryn Bigelow ne s’arrête pas là, à l’image de ce dernier, Sicario ne jamais laisser le spectateur rentrer dans sa zone de confort, préférant l’emmener sur un terrain beaucoup plus sinueux où la tension est constamment palpable. Deux heures durant, le spectateur, tendu comme un arc, guette le danger, dusse-t-il arriver durant les moments les plus impromptus. C’est aussi la force du film : nous garder sur le qui-vive, sans jamais nous ménager, les rares moments de calme préfigurant à chaque fois une tempête de violence éreintante tant sur le plan technique qu’émotionnel Car s’il ne fait pas dans la surenchère pyrotechnique, Sicario laisse peu, voire aucun, répit au spectateur. Alerte sans être ostentatoire, la mise en scène inspirée de Denis Villeneuve évite brillamment l’écueil du FPS filmée mais parvient par de discrets subterfuges à nous immerger totalement dans cet univers où les limites de la loi ne cessent d’être repoussées au fur et à mesure que la violence grimpe de manière graduelle. Ni trivial ou partie prenante, Sicario se contente de dresser un état des lieux glaçants et représente en soi un parfait complément à la série Narcos , autre déclinaison sur le thème de l’effacement progressif des valeurs morales. Ce nihilisme, le film en fait son credo, illustrant l’adage « la fin justifie les moyens » de manière glaçante notamment à travers les personnages incarnés par Josh Brolin et Benicio Del Toro. Plus qu’un film de guérilla urbaine, le film de Denis Villeneuve est un constat amer, une étude de caractères brillante par son caractère dépassionné. Sans son final consensuel, sorte d’antithèse à tout ce qui a été déroulé précédemment, Sicario aurait mérité haut la main ses galons de chef d’œuvre. Mais peut-être qu’au fond, il était nécessaire tant l’ultime plan vient de manière insidieuse nous rappeler que la paix n’est jamais acquise… même au prix fort ! Les débats sont ouverts.

 

SICARIO Day 01
Metropolitan Filmexport

Un bijou noir comme l’ébène à la mise en scène brillante et brute.