Critique : Fury

 

Un film de David Ayer. Avec Brad Pitt, Logan Lerman, Shia LaBeouf. Sortie le 22 octobre 2014.

 

David Ayer délaisse les flics badass pour coller aux Rangers de soldats lachés dans un territoire tout aussi hostile et encore plus impitoyable.

 

Note : 3,5/5

 

« Pour survivre à la guerre, il faut devenir la guerre »… cette citation mythique tout droit issue de Rambo 2 pourrait parfaitement servir de fil rouge à Fury, cinquième film de David Ayer en tant que réalisateur. On y suit la dernière mission d’un peloton à bord d’un tank Fury alors que la Seconde Guerre Mondiale touche à sa fin. Habitué à filmer les guérillas urbaines que ce soit dans End of Watch ou le malade Sabotage, Ayer change ici de terrain en filmant l’ultime combat d’une équipe littéralement terrassée par des années de conflit armé. Par définition moins urbain et contemporain que ses derniers films, Fury est toutefois l’occasion pour son réalisateur d’adapter son style à un genre plus codifié et ambitieux. Et si le cinéaste ambitionne clairement de réaliser « son grand film de guerre », il ne se renie pas pour autant et fait de son Fury une bobine enragée, pleine de bruits et de fureur, de souffre et de larmes. A la manière d’un certain Peter Berg avec son étonnant Du sang et des larmes, Ayer n’y va pas avec le dos de la cuillère pour nous mettre le nez dans le cambouis et les mains dans la boue. Dès sa séquence inaugurale, Fury s’annonce comme un voyage éprouvant et mouvementé au cœur de la bête où les balles déchirent le ciel de façon irréelle comme issues d’un cauchemar. Ici ce n’est pas tant la réalité historique qui intéresse le cinéaste que les horreurs de la guerre et leurs impacts sur des soldats luttant pour préserver leur humanité dans un enfer à ciel ouvert. Ce profond désespoir, Ayer la capte parfaitement à travers une approche éminemment frontale consistant à nous montrer la guerre dans ce qu’elle a de plus dégueulasse (corps déchiquetés, massacres de masse, j’en passe et des meilleurs) et arbitraire sans complaisance ni ménagement. La première partie, d’une puissance rare, nous embarque ainsi au cœur d’une guerre où les forces en présence rendent leur dernier souffle avec hargne et pugnacité. Ayer ne nous épargne absolument rien, des enfants envoyés en pâture aux bombardements impactant directement les civils. Démarrant sur les chapeaux de roue, Fury ambitionne clairement de chasser sur les terres d’Il faut sauver le soldat Ryan par son ouverture chaotique et choc mais surtout de par sa volonté de mêler l’intime au spectaculaire. Sauf qu’Ayer n’est pas Spielberg et que le monsieur est clairement plus doué pour faire parler la poudre que lorsqu’il donne dans l’étude de caractère… et ce en dépit des interprétations fiévreuses et incandescentes de Brad Pitt et Logan Lerman (Noé).

 

© Sony Pictures
© Sony Pictures

 

Flegmatique et taiseux, sage et bouillonnant, Don Collier (Brad Pitt) incarne à la perfection les multiples facettes du soldat faisant jour après jour face aux terribles épreuves imposées par la guerre. Se situant dans une fascinante zone de gris, il raccroche constamment – et de manière souvent abrupte – le spectateur à cette humanité qu’il verra disparaître au fur et à mesure pendant plus de deux heures. Un personnage ambigu mais humain, sévère mais juste, difficile à cerner mais d’où se dégage une forme de tristesse, de fausse résignation face aux actes innommables que la guerre nous oblige à commettre qui le rend de fait fascinant. Un beau et grand personnage d’une dignité absolue. A ses cotés, Logan Lerman trahit une vulnérabilité qui attire tout de suite l’empathie, une personnalité en devenir qu’on devine à jamais changé par son expérience. On ne peut malheureusement pas en dire de leurs compagnons d’armes d’un Shia LaBeouf bon mais peu crédible en soldat évangéliste à un Jon Bernthal (The Walking Dead) cabotin en badass qui cache un cœur tendre, tous se résument à une enfilade de clichés ambulants comme on ose plus en faire même dans un genre aussi balisé que le film de guerre. Aussi pourrait-on dire de Fury qu’il se divise en deux parties bien distinctes : la première pourrait se résumer à un cri de guerre d’une puissance incroyable, sorte de chant funèbre pleine de bruit et de fureur, d’une brutalité et d’un nihilisme rares. Une dernière virée en enfer qui remue les tripes et éclate les yeux en laissant le spectateur exsangue. La seconde est une réflexion un peu bateau sur les horreurs qu’engendre la guerre. A l’exception d’une formidable scène de repas qui semble résonner en écho à celle de l’indétrônable Au delà de la gloire de Samuel Fuller (que le film érige ostensiblement comme modèle peut-être plus même qu’Il faut sauver le soldat Ryan) et qui cristallise toutes les « préoccupations » d’Ayer en la matière, ce dernier n’apporte strictement rien de neuf. Alors qu’il aurait largement pu continuer sur sa logique frondeuse, Ayer radote, tourne un peu en rond, se cherche après nous avoir pris à la gorge pendant un peu moins de deux heures, au point de saboter un morceau de bravoure final qu’on nous annonçait dantesque et qui finira par être anecdotique. Il n’en demeure pas moins que Fury, en dépit de cette propension à verser dans le didactisme vain, demeure de très loin le meilleur film de David Ayer réalisateur, celui qui prolonge à merveille les thématiques qu’il avait esquissé en tant que scénariste, lui qui avait su si bien analyser les vicissitudes de l’homme en temps de conflit et son impossibilité à exister en dehors de celui-ci. Il en résulte un film excellent à défaut d’être grand mais qui a tout à fait sa place aux cotés de ses illustres modèles.

 

Brut et sans concessions, Fury dépoussière le film de guerre en lui rendant son caractère crasseux et inconfortable. Dans le genre, un très bon compromis entre Steven Spielberg et Samuel Fuller.