Critique : Hitchcock

 

Après The Artist, c’est au tour d’un autre film revisitant l’Histoire d’Hollywood de diviser la rédaction. En l’occurrence Hitchcock, vrai/faux biopic qui aura déchainé bien des passions. Sacré Alfred !

 

Un film de Sacha Gervasi avec Anthony Hopkins, Helen Mirren, Scarlett Johansson. Sortie le 6 février 2013.

 

Pour : 4/5

 

Evoquer la carrière d’une des réalisateurs les plus connus et appréciés en faisant appel à deux monstres sacrés du cinéma, tel était le pari ambitieux de Hitchcock, œuvre biographique originale et distrayante.

 

Attention ! Hitchcock n’est pas un biopic au sens propre dans la mesure où il ne relate pas toute la vie du cinéaste mais s’attarde plutôt sur la genèse et la réalisation du film Psychose, son œuvre la plus controversée et la plus mythique.Véritable hommage au cinéma du maître du suspense et au cinéma tout court, Hitchcock a été tourné au coeur d’Hollywood, dans les studios Paramount dont on parcourt avec les acteurs les allées où bon nombre de légendes ont mis les pieds. Le film de Sacha Gervasi s’intéresse aux difficultés qu’Hitchcock a rencontrées pour réaliser Psychose en devant hypothéquer sa maison. Personne ne croyait en son projet, adapté d’un roman s’inspirant des crimes du tueur en série Ed Gein et dont la violence a refroidi plus d’un producteur. On se rend compte ainsi que les grands noms du cinéma doivent souvent se battre avec le système et la censure alors que leur réputation et leur succès sont acquis.  Œuvre pédagogique et intime, le film s’articule principalement autour de la relation qu’Hitchcock entretenait avec sa femme, Alma, sa plus fervente admiratrice et collaboratrice. On voit un Alfred perdu lorsque Alma est moins présente pour le soutenir lors du tournage de Psychose et qu’il la soupçonne d’entretenir une liaison avec le scénariste Whitfield Cook. Il y a cette scène émouvante où Alfred se lève en pleine nuit pour vider son frigo, envahi par les doutes et la tristesse. Mais le film ne manque pas d’humour comme Hitchcock lui-même en regorgeait malgré la noirceur de ces chefs-d’œuvres. On apprécie surtout les clins d’œil à sa carrière au tout début et à la toute fin du film comme une boucle bouclée.

 

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Comme dans tous biopics qui se respectent, le rôle titre doit être incarné par un acteur emblématique au maquillage très travaillé. En voyant la performance d’Anthony Hopkins on ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec Meryl Streep incarnant Margaret Thatcher dans La Dame de Fer sortie l’an dernier à la même période. Sasha Gervasi reconnait ne pas avoir cherché un acteur ressemblant physiquement avec Hitchcock et c’est vrai que sous le maquillage on reconnaît les traits mais également la voix d’Anthony Hopkins ce qui dérange un peu au début. Le talent de l’acteur britannique fait toutefois son effet : ses mimiques, ses postures, ses déplacements nonchalants rappellent la silhouette d’Hitchcock. La Dame de Fer misait davantage sur la ressemblance physique entre Meryl Streep et Thatcher avec un maquillage parfait et une voix travaillée au mimétisme. Et que dire aussi de la présence inspirée d’Helen Mirren dans le rôle d’Alma, elle qui a récemment été oscarisée pour son rôle d’Elisabeth II dans The Queen. Le tandem Hitchock / Alma ne peut fonctionner sans la complicité et le talent du duo Hopkins / Mirren.  Seule ombre au tableau de ce film réussi, la musique de Danny Elman n’est pas à la hauteur des attentes alors qu’on pensait qu’il ferait des clins d’œil à celle de Psychose. On a l’impression que dès qu’il quitte son ami fidéle Tim Burton, Elfman n’est pas capable de faire trembler le spectateur comme il en a l’habitude et se contente d’une musique assez lisse comme dans Dragon Rouge, déjà à l’époque avec Anthony Hopskins.

 

Biopic original ne s’adressant pas uniquement aux fans d’Hitchcock, le film de Sacha Gervasi permet de plonger dans la conception du film Psychose et de découvrir un peu l’intimité du maître du suspense.

 

Raphael Borfiga

 

 

 

Contre : 1/5

 

Sacha Gervasi confirme ce paradigme : c’est pas parce qu’on a tapé dans l’oeil du Dieu Spielberg en prenant le Terminal, ni qu’on a raflé un emmy award du meilleur documentaire culturel à la gloire des métalleux d’Anvil ; qu’un jeune scénariste salué comme un réalisateur en devenir est un bon conteur.

 

Le maître du suspens peut se retourner dans sa tombe, Sacha Gervasi a complètement foiré son biopic. Car Hitchcock n’est pas un biopic. C’est une sorte de biographie fantasmée aux allures de comédie romantique à l’eau de rose, sur fond de making of qui prend l’eau – de la douche (sic). Vous n’apprendrez rien sur la prétendue personnalité torturée du maître, car comme indiqué, elle est supposée. Sacha Gervasi ne cesse de le répéter en interview : Hitchcock était un homme mystérieux. Alors pourquoi se perdre dans une analyse psychologico-pouet pouet où Norman Bates serait une incarnation de la frustration artistique du maître ? Parce que le petit Sacha voit en Psychose ce que Shining fut à Kubrick, un autoportrait d’un artiste perdu dans sa folie créatrice. Norman Bates se travestie = Hitchcock est l’ombre de lui-même. Logique. Une interprétation qui frise d’autant plus le ridicule lors de ces séquences freudiennes où le fantôme de Bates lui apparaît tel un transfert émotionnel. Hitchcock ne rend pas non plus hommage à son talent de metteur au scène. Vous ne saurez rien du tournage calamiteux de Psychose. A part que le boss de la Paramount a tout fait pour le film n’existe pas, faute d’un pitch pas assez commercial. Mais ça on le savait déjà ! Car encore aujourd’hui c’est ce qui vaut le statut culte de Psychose : du chaos est né un horrible chef-d’oeuvre. Avec Sacha Gervasi le tournage est mis au second plan. Place à une amourette entre Alma Reville et Whitfield Cook. Alma est la femme du maître, Whitfield un des scénaristes attitré du maître. Tous deux se rapprochent, se séduisent, Hitchcock va-t-il sortir du placard en s’écriant «Diantre ma femme a un amant !» ? Le petit Sacha tente d’entretenir le suspens, mais n’est pas le maître qui veut.

 

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Pourtant le film partait d’une noble intention : mettre en lumière l’apport d’Alma sur l’oeuvre d’Hitchcock. Sur papier l’idée est intéressante, à l’image elle est plus qu’ennuyeuse. Ici Alma arrive à saturation. Hitch a pris la grosse tête. Il profite de ses talents d’écriture au détriment de toute affection. Alma a un manque de considération. Le couple est fragilisé. Une crise existentielle montrée comme une reconstitution vaudevillesque qui se noie dans une mystification d’une image insaisissable. L’écriture manque de finesse, la mise en scène d’élégance. On se croirait dans un téléfilm qui ne parvient même pas à mettre en valeur le décor. Quant au casting, il est transparent. Anthony Hopkins est une caricature à l’accent so british, Helen Mirren surjoue la femme blessée, Scarlett Johanson illumine l’écran de sa chevelure dorée hitchcokienne et de son regard pétillant «je suis fan d’Anthony Hopkins, wahou c’est la classe je lui donne la réplique» et Jessica Biel récite son texte sans conviction, comme consciente de s’être fourvoyer sur le tournage d’un vrai-faux film hommage qui dénature toute Psychose.

 

«Je veux retrouver un semblant de liberté» confesse le faux Hitchcock. L’original s’est dépassé et a traumatisé toute une génération. La copie, elle, fait passer le meurtre en douche comme une thérapie de couple. Un raccourci grossier qui vous donne envie de pousser Sacha Gervasi a en prendre une.

 
Yohann Marchand