Critique : Jersey Boys

 

Un film de Clint Eastwood. Avec John Lloyd Young, Vicent Piazza, Erich Bergen. Sortie le 18 juin 2014.

 

 

Clint Eastwood se réapproprie les codes du musical dans une chronique douce amère plus complexe qu’elle n’y paraît.

 

Note : 3,5/5

 

S’il y a un terrain sur lequel on ne voyait pas Clint Eastwood (re)venir c’est bien le biopic musical. 27 ans après Bird, le cinéaste retrace une autre formidable destinée liée à la musique. A la différence près que, contrairement à son sublime drame jazzy, Jersey Boys, lui, est directement adapté d’une comédie musicale qui a cartonné à Broadway et dans le monde entier. Ne pas croire cependant que Clint a décidé de faire son Adam Shankman en multipliant les numéros de danse et de chant jusqu’à plus soif. Plutôt que d’être une fin en soi, la musique irrigue ici le récit un peu à la manière du récent Inside Llewyn Davis mais avec un style purement eastwoodien alliant classe et sens du spectacle. Avec Jersey Boys, le grand Clint a voulu faire son Dreamgirls en racontant l’ascension et la chute d’un groupe gangréné de l’intérieur par le succès et les égos. Mais là où l’indigent film de Bill Condon était clairement handicapé par un storytelling en dents de scie et des performances d’acteurs souvent insupportables (à l’exception d’un Eddie Murphy exceptionnel), celui d’Eastwood se distingue par un vrai regard d’auteur, loin des approches impersonnelles auxquelles les biopics musicaux ont trop tendance à nous habituer. Jersey Boys fait ainsi preuve d’une élégance folle que ce soit dans son portrait de personnages finement écrit que par sa mise en scène racée et inspirée. Difficile dès lors de le classer dans la case comédie musicale tant il se rapproche davantage de la chronique douce amère. On ira même plus loin en disant que le genre sert ici de prétexte à Eastwood pour revisiter des thèmes qui lui sont chers et qui auront traversé une bonne partie de sa filmographie en tant que réalisateur. L’occasion pour le cinéaste de dresser un intéressant parallèle entre son parcours et celui des Four Seasons. A l’image du quatuor vedette qui brise régulièrement le 4eme mur pour s’adresser aux spectateurs (tout comme dans la pièce originale), Clint joue lui aussi le jeu de l’introspection avec un sens du second degré qu’on ne lui soupçonnait pas. Il y a quelque chose d’éminemment intime qui ressort de Jersey Boys comme si le cinéaste, au travers de ses personnages, tentait de partager avec nous ses valeurs, sa conception de la vie cristallisées dans une époque qu’il revisite sans passéisme mais avec douceur et nostalgie.   En cela, on peut dire que le cinéaste signe ici son œuvre la plus personnelle depuis, allez soyons fous, Gran Torino, Jersey Boys regorgeant de niveaux de lectures cachés comme autant de clins d’œil adressés au public complice.

 

© Warner Bros
© Warner Bros

 

Mais derrière les numéros de chants et la musique entêtante, ce qui intéresse Eastwood c’est avant tout le cheminement personnel de ses quatre garçons prêts à tout pour échapper à leur environnement destructeur qui leur aurait condamnée à une vie faite de petits larcins pour terminer irrémédiablement en prison ou au cimetière. Une sorte de sacerdoce que le cinéaste filme sans jamais faire dans l’emphase inutile. Un sens de la retenue qui se ressent jusque dans le formidable cast essentiellement composé de talents ayant fait leurs armes sur les planches. Pour leur première vraie incursion cinématographique, chacun crève l’écran à sa façon et fait la jonction parfaite entre théâtre et cinéma. A commencer par le newbie John Franck Lloyd dans la peau de Frankie Valli. Véritable révélation du film, il se tire plutôt bien d’un exercice assez périlleux révélant par un simple regard ou note vocale les multiples failles d’un personnage peut être trop « imposant » pour ses frêles épaules. Le reste du casting ne dépareille pas, du charismatique Vincent Piazza (Boardwalk Empire) aux discrets Erich Bergen et Michael Lomenda. Moins mineur et consensuel qu’il n’y paraît, Jersey Boys est un film étrange, parfois hésitant dont l’apparent classicisme cache une pudeur qui fait honneur à son auteur. Ne pas croire cependant qu’Eastwood a signé son chef d’œuvre ultime : Jersey Boys ne semble pas toujours savoir où il va et pâtit d’une dernière partie maladroite. Cependant, il se dégage de l’ensemble une espèce de charme suranné mais totalement assumé qui le rend aussi attachant que précieux. Déconcertant au premier abord, le film nous cueille petit à petit jusqu’au générique de fin illustré par un superbe morceau de bravoure final prouvant par l’image que l’ex inspecteur Harry a encore suffisamment de tripes pour s’attaquer à la comédie musicale de manière frontale. Peut-être serait-il temps de se repencher sur le remake d’Une Étoile est née ?

 

Faussement mineur, Jersey Boys surprend par la maturité qu’il confère au genre qu’il revisite mais aurait peut être gagné à s’y attaquer de façon plus directe.

 

 




Powered by Preview Networks