Critique : Jurassic World

 

Un film de Colin Trevorrow. Avec Chris Pratt, Bryce Dallas Howard, Vincent d’Onofrio. Sortie le 10 juin 2015.

 

Les dinosaures en mode OGM attaquent dans cette copie certes non conforme mais plus intéressante et décomplexée qu’au premier abord.

 

Note : 3/5

 

N’importe quel journaliste vous le dira : quand une projection presse est organisé la veille de la sortie d’un film et/ou qu’elle est soumise à un embargo, c’est rarement, voire jamais,  bon signe ! Cette politique du « damage control », les studios en ont faits de plus en plus leurs credo, craignant plus que tout les méfaits d’une mauvaise presse 2.0 dont le caractère instantané peut prématurément tuer un film avant qu’il n’envahisse les salles obscures. Aussi lorsque le PCF (paysage critique français) reçoit un mail l’invitant à se présenter à la projection presse de Jurassic World accompagné d’un embargo signé et daté on ne peut que se méfier… surtout quand celui-ci n’est levé que la veille de la sortie pour une publication autorisée qu’à partir de midi et pas avant. C’est donc l’œil méfiant et pas encore  « 3disé », préalablement éreinté par un système de sécurité fort drastique, que l’impétueux critique s’apprête à faire une virée au pays des dinosaures pas commodes. Deux heures plus tard à la sortie de la salle, les visages impassibles des spectateurs/critiques ne laissent filtrer aucun indice. Jurassic World méritait-il un tel confinement médiatique digne d’un secret d’Etat un peu honteux ? Pas vraiment, car si le film de Colin Tremollo… pardon Trevorrow n’arrive clairement pas à la cheville du film matriciel de tonton Spielberg, il fait davantage office de troisième épisode que le très mou Jurassic Park III de Joe Johnston. Comprendre par-là que cette nouvelle visite dans le parc est une opération marketing bien étrange tenant autant du mix entre Jurassic Park et Lost World que du spin-off. Aux deux premiers films, Jurassic World emprunte les titres ainsi que quelques figures emblématiques vaguement recuisinées (le héros qui ne veut pas d’enfant se féminise, le milliardaire rêveur porte les stigmates de la mondialisation, le scientifique corrompu…) quand elles ne sont pas empruntés à d’autres films (Chris Pratt en mode Star-Lord dans un zoo). En l’état le film et sa trame à base d’attraction qui dégénère à cause de géniteurs peu scrupuleux font tellement de pied à Spielberg que ça en devient gênant. Si bien qu’entre ça et le très redouté Terminator Genysis on en vient à se demander si la suite/mash-up faisandée ne sera pas la nouvelle tendance de l’été. Avec ses airs de mix mal dégrossi entre les deux premiers films de la saga, Jurassic World part effectivement perdant, beaucoup trop ostentatoire qu’il est dans sa volonté de renouer avec la magie de ses aïeux. Et pourtant, l’expérience n’est pas désagréable pour autant…

 

Universal Pictures
Universal Pictures

 

Certes, comparé à ses derniers, Jurassic World part définitivement perdant, mais si on voyait le problème autrement ? Pourquoi ne pas le considérer non pas comme une suite tentant désespérément de singer ses prédécesseurs mais plutôt comme une excroissance au bon gout de Bis ? Tout de suite, le film de Colin Trevorrow devient plus intéressant ! Car ici, l’intérêt principal réside moins dans le bestiaire génétiquement modifié emprunté aux trois précédents films que dans le nouveau monstre 100% inédit et prétexte à quelques belles exactions gores. Dès son apparition, le film quitte ses oripeaux de mauvais remake pour dévier vers quelque chose de beaucoup plus méchant, bourrin. Énorme saloperie sur pattes qui bouffe à peu près tout sur son passage, le nouveau-né de Jurassic World cristallise tout l’esprit d’un film qui a décidé de ne pas faire dans la dentelle et de donner au public exactement ce qu’il veut : du monstre cassant tout sur son passage. On pourra trouver la démarche cynique et le sous texte à base de « rien ne vaut l’original » pas très finaud, ils confèrent cependant à l’ensemble un second degré bienvenu. Si le coté très méta du film peut paraitre trop ostentatoire par moments, il permet une distanciation plutôt bien vue. Parfaitement conscient de l’énorme poids qui pèse sur ses épaules, le film prend le parti de s’en amuser, de se moquer de lui-même en assumant  pleinement dans sa seconde moitié son statut de dégénérescence filmique lorgnant méchamment du côté de Carnosaur et du jeu vidéo Evolution dont il serait l’adaptation officieuse. Oui, le film tombe dans de nombreux écueils, tourne parfois en rond, se répète comme pris d’un Alzheimer grave mais il reste totalement décomplexé et diablement efficace quand il lâche ses bébêtes. Pour apprécier pleinement Jurassic World, il faut accepter du film qu’il ne convoque pas notre enfance ni n’ambitionne pas d’être aussi emblématique pour la génération à venir que l’œuvre séminale de Spielberg, il se contente de lancer des dinos à toute berzingue sur une partition convoquant celle de John Williams de manière si révérencieuse qu’elle en file des frissons. Jurassic Park, et dans une moindre mesure Lost World, étaient de grands films, Jurassic World se contente lui d’être un bon divertissement estival. Et au fond, ce n’est pas plus mal !

 

 

Plus carnosaur que Jurassic, Jurassic World est une drôle de contrefaçon aussi efficace que pétrie de défauts, un monster movie rigolo quand il décide d’embrasser pleinement sa condition.