Critique : La Légende de Manolo

 

Un film de Jorge R. Gutierrez. Avec les voix originales de Diego Luna, Zoe Saldana, Channing Tatum. Sortie depuis le 22 octobre 2014.

 

Peu, voire pas, représenté dans le cinéma d’animation, le Mexique se fait une place au soleil dans ce conte plaisant mais parfois trop consensuel.

 

Note : 3/5

 

Dans la guerre qui fait rage entre Pixar et Dreamworks pour accéder au très convoité trône de roi de l’animation, on a trop tendance à oublier que certains outsiders pourraient bien tirer leurs épingles du jeu et coiffer au poteau les deux mastodontes. C’est ainsi que depuis un certain temps maintenant des challengers comme Sony Pictures Animation avancent lentement mais surement leurs pions à travers des productions au pire marginalisées au mieux modestement accueillies par le public. Il faudra désormais compter sur Fox Animation qui, à défaut de miser sur l’originalité (cf. Epic) se distingue par des univers insolites témoignant d’une réelle ambition artistique. C’est le cas avec La Légende de Manolo qui utilise la célèbre fête des morts chère au cœur des mexicains comme toile de fond d’un triangle amoureux qui verra deux amis d’enfance, Manolo et Joaquin, s’affronter pour les beaux yeux de la belle Maria. Avec son casting vocal majoritairement latino (Diego Luna, Hector Helizondo, Danny Trejo , Cheech Marin) et la présence de Guillermo Del Toro à la production, La Légende de Manolo sent bon la production culturellement sous influence, bien loin des canons WASP (ou animaliers) que l’animation a trop tendance à nous servir dernièrement. Et si ce premier long de Jorge R. Gutierrez assume pleinement ses origines latines, l’usage qu’il en fait relève parfois trop du cliché. Alors certes, les mariachis, matadors et autres desperados font parties intégrantes du folklore mexicain mais force est de reconnaitre qu’ils ne dépassent jamais le stade de figures imposées comme si la production avait peur de s’aliéner une partie de son public. En témoigne ce gimmick, amusant au début puis très vite lassant, consistant à émailler le film de versions hispanisantes de chansons anglo saxonnes comme I Will Wait de Mumford & Sons ou encore Can’t Help falling in love with you. Et si l’on excepte une superbe reprise de Creep à l’origine d’une des plus belles scènes du film, force est de reconnaitre que La Légende de Manolo lasse de par sa volonté d’américaniser une intrigue fortement ancrée culturellement au Mexique. Bicéphale, le film ne semble dès lors qu’assumer à moitié ses origines et surtout son identité en donnant à celle-ci un coup de « karcher » pas forcément utile. Peut-être bien la différence notable entre cette légende de Manolo et un Pixar qui, qu’il se situe en Irlande (Rebelle) ou en France (Ratatouille) ne tente jamais de pimenter à la sauce barbecue le background culturel dont il use. Symptomatique de ce malheureux état des faits : une propension à infantiliser son public à travers un discours très bateau sur la nécessité de suivre son cœur en opposition à une raison parfois trop rigide.

 

©20th Century Fox
©20th Century Fox

 

Ça c’était pour les principaux points noirs. Hormis cela, La Légende de Manolo reste un divertissement animé tout ce qu’il y a de plus respectueux et réussi, parfaitement calibré pour les enfants qui suivront à coup sûr et avec beaucoup d’intérêt les aventures de Manolo bien décidé à se libérer du monde des morts pour rejoindre sa bien-aimée. Trépidant, rempli d’humour, il lui manque quelque peu de distance avec son sujet si bien que ce sera avant tout l’aspect technique qui devrait attirer l’œil des plus grands. A commencer par une superbe direction artistique reprenant à son compte tous les codes graphiques inhérents au folklore mexicain pour dessiner un univers d’une enchanteur et d’une richesse folle, quelque part entre les films de Guillermo Del Toro (forcément) et un versant plus coloré de L’étrange Noël de Monsieur Jack. A l’image du chef d’œuvre d’Henri Sellick, La légende de Manolo prend le parti de porter sur la mort et ses funestes figures un regard rempli de poésie via notamment des personnages tous plus truculents les uns que les autres et des décors d’une beauté ahurissante. Plus d’une fois, La Légende de Manolo flatte nos sens par sa palette de couleurs chaudes et riches, ses environnements à perte de vue et sa musique envoutante et rythmée. Coloré, épicé, enchanteur, les mots manquent pour décrire l’extraordinaire voyage auquel Le voyage de Manolo nous convie. D’où une certaine frustration à ne pas voir Manolo explorer davantage le monde des morts tant celui-ci se révèle dense et propice aux morceaux de bravoure les plus fous. De fait, c’est davantage lors de sa première partie dans laquelle Gutierrez nous montre un Mexique inattendu et drôle, se jouant en premier lieu des clichés (avant de vainement les recycler tels d’épuisant running gag), que le film est intéressant, plus que dans son dernier tiers trop bâclé narrativement. Et pourtant, le conte de Gutierrez parvient, lorsqu’il n’est pas rattrapé par un cahier des charges très consensuel, à affirmer une identité forte que ce soit au travers de son esthétique très marquée ou des liens forts que les personnages entretiennent avec leurs familles. Ajoutez à cela un humour tantôt piquant, tantôt régressif, et vous obtiendrez un divertissement qui perd en subversion ce qu’il gagne en charme et en spontanéité. Pas les moindres des qualités dans un secteur qui tend à se reposer parfois un peu trop sur ses lauriers.

 

Peu révolutionnaire, La Légende de Manolo se laisse suivre sans déplaisir malgré quelques scories handicapant un potentiel énorme.