Critique : La Porte du paradis

 

Un film de Michael Cimino. Avec Kris Kristofferson, Christopher Walken, John Hurt, Isabelle Huppert, Sam Waterston. Sortie le 27 février 2013.
 

Le chef d’œuvre contemplatif  nous revient en bonne et dû forme. Cimino prend sa revanche: Attention culte!
 

Note : 5/5

 

Tombe la neige, le froid nous accable. C’est le moment de courir en salle  pour découvrir ou redécouvrir l’un des films cultes de Michael Cimino, La Porte du paradis. 216 minutes d’envolée lyrique, dans les cendres d’une Amérique contemporaine naissante, entre rêves et désillusions.  Pourquoi nous ressortir un vieux film des eighties, de plus de trois heures? La démarche pourrait sembler surprenante à qui ne connait pas la folle histoire de cette pellicule. Un avant propos s’impose. Auréolé par le succès de son second film Voyage au bout de l’enfer , Michael Cimino, s’inspirant des évènements enlaçant la bataille de Johnson County, entreprend avec  La Porte du paradis, un projet titanesque, tant par sa densité que par son ambition. Carte blanche lui est donné pour mettre son talent aux profits d’un cinéma d’auteur hollywoodien, déjà amorcé. Après un tournage démesuré, un premier montage de cinq heures vingt cinq est présenté aux dirigeants de la United Artists ( le célèbre studio fondé par Charles Chaplin et D.W. Griffith ), avant d’être réduit à trois heures trente neuf lors de sa première à New York en 1980. Le film est violemment fustigé par la critique et M. Cimino taxé d’antiaméricanisme, se voit reproché d’avoir été injustement oscarisé. Rapidement catalogué, le film ne restera que peu de temps à l’affiche avant de ressortir dans une version tristement réduite à 149 minutes, mais en vain. Le résultat est un échec cuisant, tant sur le plan critique que commercial. Devenu au préalable célèbre pour son fiasco, le film est aussi connue pour être à l’origine de la déconfiture de United Artists, faisant ainsi une entrée magistrale dans la liste des films dits maudits. Depuis réhabilité par la critique et par les aficionados du genre La Porte du paradis, nous revient pour notre plus grand plaisir en version longue et restaurée, sous la supervision de son réalisateur. Une occasion immanquable de mettre aux oubliettes cette navrante version amputée, complètement désincarnée de son essence même.
 

© Carlotta Films
© Carlotta Films

 

De son Voyage au bout de l’enfer, Michael Cimino avait fait émerger l’une des parts sombres de l’Histoire américaine en s’attaquant aux atrocités et à l’absurdité de la guerre au Vietnam. De ce film culte se dessinait déjà les contours d’une signature, aussi bien du coté du style que des thèmes abordés. Avec La Porte du paradis, le cinéaste démystifie de nouveau l’american dream, en s’attaquant à ses élites aux mains entachées de sang et pousse ici l’expérience cinématographique aux confins de la contemplation.  De quoi s’agit-il? En 1870, James et Billy sont deux jeunes garçons, fraichement diplômés de Harvard et destinés à un avenir brillant. Vingt ans se sont écoulés. James Averill, devenu shérif du comté de Johnson, retrouve Billy, alcoolique et membre de l’association des éleveurs de bétail dans le Wyoming. L’ association n’a qu’une obsession, lutter contre les immigrants européens venus en masse sur ses terres. Taxés de voleurs et de néfastes, les immigrants deviennent des têtes à abattre, avec l’accord du gouvernement fédéral. James Averill, éperdument amoureux d’une étrangère nommée Ella, se dresse contre ce massacre annoncé, face à la crédulité générale des hommes, n’imaginant pas trébucher sur le rêve d’une terre promise.

 

© Carlotta films
© Carlotta films

 

D’un œil aiguisé, érigeant la nature et les vastes étendues américaines en pièces maitresses du décor, Michael Cimino nous plonge dans un univers saisissant. De cet esthétique de lumière et de poussières, on s’imaginerait voyager dans un tableau d’Albert Bierstadt, aux commandes de  la locomotive de George Inness. Mais ne nous méprenons pas. Il ne s’agit pas d’un nouveau western, mais d’une véritable mise à mort du genre. M. Cimino se joue des codes au profit d’un scénario fou et subversif. Beaucoup de choses seraient à dire, tant le récit est dense. Car si il est question de l’Histoire américaine dans ce qu’elle peut avoir de plus terrifiant, le film est aussi une véritable fresque romanesque. Sublimant l’amour,  écorchant la loyauté et accablant la justice. Le cinéaste nous dépeint, comme dans son précédent film, l’être humain dans ce qu’il peut avoir de pire et de meilleur. L’épopée est sublimée par un casting de choix avec dans les rôles principaux Kris Kristofferson, Christopher Walken, John Hurt ou encore la jeune Isabelle Huppert. Tous interprètent avec brio ces êtres impénétrables, errants, presque désabusés, vers un cauchemar annoncé. Véritable plaidoyer contre l’intolérance, l’objet est une étrangeté, aussi précieuse qu’intemporelle.
 
 

Une fresque sensitive aux allures hypnotiques à redécouvrir absolument dans une salle obscure.