Critique : Le Fils de l’autre

 

Un film de Lorraine Levy. Avec Emmanuelle Devos, Pascal Elbé, Jules Sitruk. Sortie le 4 avril 2012.

 

L’histoire de La vie est un long fleuve tranquille transposée au conflit israëlo-palestinien, Le Fils de l’autre traite de l’identité sous toutes ses formes mais n’est malheureusement pas à la hauteur de ses ambitions.

 

Note : 2/5

 

Pour son troisième long-métrage au cinéma, la scénariste et réalisatrice de télévision Lorraine Lévy a fait un pari difficile : réaliser un remake de La vie est un long-fleuve tranquille sur fond de conflit israëlo-palestinien. Malgré des postulats de départ peu originaux, l’idée de filmer deux jeunes hommes de 18 ans en proie à des questionnements sur leur identité à la fois familiale, religieuse et nationale, n’était à priori pas dénuée d’intérêt. On assiste donc au drame que vivent Joseph (Jules Sitruk), un juif né Palestinien, et Yacine (Mehdi Dehbi), un Palestinien né juif, tous deux accidentellement échangés à la naissance pendant un bombardement. Malheureusement le film pèche par les failles de son scénario. Lorraine Lévy, qui n’est ni Palestinienne ni israélienne a fait le choix d’écarter le plus possible la tonalité politique et religieuse du film pour se concentrer sur la réaction personnelle des personnages, avec pour objectif de montrer une jeunesse tolérante, éloignée des préoccupations de ses parents. Tout se passe en effet comme si l’insoluble conflit régional n’était qu’une affaire d’adultes, apaisée par « la sagesse » de deux garçons presque déconnectés de la haine que se vouent leur deux peuples depuis plus de 60 ans. On est étonné de voir Joseph et Yacine philosopher avec légereté sur leur tragédie existentielle autour d’un pet’ à Tel Aviv, après des larmes visiblement passagères.

 

Jules Sitruk dans Le fils de l'autre de Lorraine Lévy
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Explication patente à ce décalage : l’un est surprotégé par sa famille juive, quand l’autre, parti faire ses études à Paris, n’a plus la perception des barrières que subissent les Palestiniens au quotidien. Le conflit relégué ainsi au second plan pâtit de ces choix scénaristiques qui lui confèrent une image édulcorée : malgré toute la bonne volonté de la réalisatrice pour donner du corps et du réalisme à cette histoire, les rares évocations de l’injustice ressentie par son peuple sonnent finalement faux dans la bouche d’un jeune homme comme Yacine, qui affiche une assurance presque insolente, et le personnage de Joseph semble finalement réduit à ses interrogations enfantines, « mes parents m’aiment-ils toujours? », « Les autres seront-ils fiers de moi? »… Alors pourquoi avoir choisi un sujet aussi sensible comme simple décor de tragédie familiale? Cela donne un film sans valeur ajoutée ni subtilité, à la recherche d’une émotion jamais atteinte car trop attendue, malgré les efforts des acteurs (Emanuelle Devos, Pascal Elbé, Khalifa Natour et Areen Omari). On regrette que les pistes intéressantes ne soient pas assez creusées, comme l’aspect communautariste de la religion juive avec la remise en question soudaine de la judéité de Joseph qui a pourtant suivi tous les préceptes, ou encore la douleur haineuse du frère de Yacine qui le pousse à renier celui qu’il adorait la veille, mais qui se laissera finalement convaincre. Enfin on doute que les seuls liens du sang puissent anihiller ainsi les complexités d’un conflit interminable.
 
 

Prisonnier de ses choix scénaristiques, le Fils de l’Autre affiche un optimiste trop appuyé pour un drame familiale plongé dans le conflit le plus désespérant du Moyen-Orient.