Critique : L’épreuve

 
Un film d’Erik Poppe. Avec Juliette Binoche, Nikolaj Coster-Waldau, Lauryn Canny. Sortie le 6 mai 2015.

 

 Après avoir reçu le Grand Prix spécial du Jury au festival international de Montréal, L’Epreuve d’Erik Poppe pointe enfin le bout de son nez en France.

 

Note : 2,5/5

 

Ancien reporter de guerre reconvertit en réalisateur, le cinéaste norvégien Erik Poppe n’a plus à prouver son talent derrière l’objectif. Pour son nouveau film, il choisit de réunir un casting international avec notamment le danois Nikolaj Coster-Waldau (l’affreux Jamie Lannister de Games of Thrones transformé ici en mari parfait ) ou encore l’irlandais Larry Mullen, batteur du groupe U2. La tête d’affiche : Juliette Binoche, une des actrices françaises préférées dans le monde, adepte des productions plurielles. Récemment, elle était le premier rôle de Sils Maria, qui lui a valu une nomination aux Césars en tant que Meilleure Actrice. Pour L’Épreuve, elle se glisse dans la peau de Rebecca, une reporter de guerre reconnue à travers le monde. Blessée et traumatisée par un attentat suicide à Kaboul, elle retourne auprès de sa famille qui lui demande de choisir entre son métier et eux. Entre atrocités et poésie , Erik Poppe nous immerge dans l’esprit de son personnage principal avec beaucoup de plans dénués de paroles qui ont pour seul accompagnement la musique. Cette plongée introspective est montrée par des plans déroutants relevant de l’expérimental où on voit le corps de l’actrice suspendue à moitié submergé par l’eau. On vagabonde, perdus avec Binoche, entre l’Afghanistan et le Kenya en lambeaux contrastant avec cette Irlande champêtre et épurée. Le terrain et le chez soi reflètent deux univers strictement opposés. Ces deux mondes permettent de construire deux rythmiques : endiablée dans les zones africaines à risque et placide à son domicile. Cette seconde rythmique laisse transparaître une flagrante baisse de punch à tendance légèrement soporifique. La musique extériorise le combat intérieur de Rebecca contre elle-même et se fait le miroir de l’âme torturé de cet reporter. Comme pour ses photos, Rebecca a plus de faculté à montrer les choses plutôt que d’en parler. Procédé que le réalisateur lui-même reprend avec ses nombreux plans à vocation purement esthétique ou symbolique. Dommage que quelques abus de ces plans apportent une certaine lourdeur au film.

Tous droits réservés
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L’Épreuve est une mise en abyme de la nécessité d’informer le monde par le biais du métier de reporter. Le personnage s’exprime par les photos car c’est plus simple de le visualiser comme Erik Poppe avec ses plans empreints de sens. Le visuel est un moyen direct de choquer, de mettre le monde face à une réalité dérangeante pour le faire réagir. La photographie du film est, évidemment, irréprochable. On y retrouve avec plaisir la délicieuse sensibilité artistique de l’ex-photographe de guerre, Poppe. Thème phare du film, la dualité « Passion/Famille » montre l’incompatibilité entre le métier et la vie sociale de l’artiste. En risquant sa vie quotidiennement, elle détruit son couple et ses enfants. Un mal indicible ronge notamment sa fille aînée, entre désir d’imiter sa mère et conscience de l’extrême dangerosité du métier. Stephanie sait vivre sa passion de la photographie pondéremment contrairement à sa mère en constante recherche d’adrénalines. La passion est un synonyme de mort dans L’Épreuve. L’acte de création est une volonté tellement puissante qu’elle en devient nocive pour Binoche. Ce sang-froid obligé par le métier en fait d’elle une femme forte et inébranlable : c’est uniquement ceux qui l’entourent ont peur pour elle et même finissent par avoir peur d’elle. La fin, symétrie de la séquence d’ouverture, met le spectateur face à des questions d’ordre actuel : jusqu’où les médias doivent-ils aller pour couvrir les évènements et y’a t-il une limite à l’information ? Est-ce nécessaire d’y risquer sa vie, d’y laisser son humanité ? Mise en lumière sur un métier de l’ombre où tout le mérite se trouve derrière cet objectif impavide.

Un film réflexif (voire contemplatif) voguant entre atrocités et poésie.