Critique : Millenium – Les hommes qui n’aimaient pas les femmes

 

Un film de David Fincher. Avec Daniel Craig, Rooney Mara, Christopher Plummer. Sortie le 18 janvier 2012.

 

 Note : 4/5

 

Quand David Fincher pose ses valises en Suède ce n’est pas pour visiter l’usine Krisprolls. Autopsie d’un feel bad movie qui n’a pas usurpé sa réputation.

 

En 2009, le Millenium de Niels Arden Oplev avait laissé le souvenir d’un divertissement efficace mais manquant singulièrement de personnalité. La nouvelle version de David Fincher allait-elle changer la donne et faire exception à la sacro sainte règle selon laquelle tout remake est forcément plus aseptisé que l’œuvre qu’il copie ? Et comment ! Cependant, ne nous nous y trompons pas si ce Millenium nouveau est une réussite cela tient davantage à la présence de David Fincher à la réalisation et Steven Zaillan au scénario qu’à une réelle velléité de transformer le diamant brut de Stieg Larson en polar séminal. Car avant d’avoir révélé la vénéneuse Noomi Rapace, Millenium premier du nom est un phénomène littéraire vendu à plus de dix millions d’exemplaires dans le monde. De quoi taper dans l’œil de Sony qui y a vu l’opportunité d’adapter un nouveau hit des librairies après Da Vinci Code et Anges & Démons.

 

Rooney Mara et Daniel Craig dans Millenium de David Fincher
© Sony Pictures France

 

Sauf que contrairement à Ron Howard, David Fincher n’est pas du genre à pouvoir se diluer dans une certaine forme d’académisme (quoiqu’avec le recul Benjamin Button peut être considéré comme son œuvre la plus « oscarisable ») entre deux pelloches plus pêchues.  Non, Fincher est ce qu’on pourrait appeler un cinéaste entier qui a toujours su jongler entre consensus et affirmation d’un style propre. Cette quête du perfectionnisme absolu se ressent dans chaque image de ce remake pourtant très fidèle à l’œuvre d’origine. Si le réalisateur de Seven joue la carte du copié collé, il instille à l’ensemble une perversité, un malaise qui faisaient grandement défaut au film matriciel. Bien que porté par une équipe américaine, Millenium ne trahit jamais l’identité très nordique de son modèle, mieux encore il se la réapproprie de façon scandaleusement talentueuse. Un tour de force que l’on doit à l’énorme travail sur la forme venue contrebalancer un fond bien connue des connaisseurs. A commencer par la photographie de Jeff Croenweth (The Social Network) dont le subtil jeu de teintes nous plonge d’emblée dans une sorte d’entre monde, la Suède, où l’apparente accalmie de l’environnement fait écho à une froideur générale clinique et d’autant plus dérangeante. En revendiquant un esthétisme résolument glacé, Fincher se permet l’impossible en instillant pernicieusement le malaise.

 

Rooney Mara dans Millenium de David Fincher
© Sony Pictures France

 

L’autre point fort, et non des moindres, est à voir du coté d’un sound design particulièrement travaillé où chaque son trituré à l’extrême s’immisce dans le cortex du spectateur pour mieux le travailler de manière lancinante durant deux bonnes heures. Et alors que le public averti sait pertinemment ce qui va se passer, ce procédé agit de manière si efficace qu’elle laisse augurer (espérer ?) l’imprévisible. Cette impression de danger, ce besoin de qui vive permanent et absent du Millénium suédois donne au film de Fincher une aura particulière qui ne pourra que surprendre les non initiés à l’œuvre de Stieg Larson et ses dérivés cinématographiques et/ou télévisuels. Une fois n’est pas  coutume c’est le duo Trent Reznor/Atticus Ross qui est à l’œuvre et nous offre un nouvel uppercut musical deux ans après la sublime BO de The Social Network. L’occasion pour Reznor de nous offrir un nouveau titre fort, une reprise d’Immigrant Song avec Karen O, sublimé par un incroyable générique d’ouverture (peut être bien le meilleur qu’il nous ait été donné de voir sur grand écran depuis longtemps) dont la puissance visuelle annonce clairement la couleur. Elle passe aussi par là la singularité de Millenium : dans cette propension à vouloir à tout prix se démarquer en agitant le masque de la copie carbone.

 

Daniel Craig dans Millenium de David Fincher
© Sony Pictures France

 

Ce qui pourra peut être décontenancer le public c’est le manque de surprises narratives apportées par sa relecture en épit du vrai travail d’adaptation effectué par Steven Zaillan. Si l’histoire reste la même, l’intrigue donne ici l’impression d’être resserrée. En s’axant principalement sur Lisbeth (fort bien interprétée par une Rooney Mara méconnaissable), le film semble se rapprocher davantage de l’essence de la saga originale tout en propulsant l’enquêtrice totalement fucked up au panthéon des grands personnages fincheriens. Au final, on regrettera que cette dernière gagne en charme ce qu’elle perd en animalité là où Noomi Rapace semblait avoir trouvé un judicieux compromis.   En d’autres termes : ça a l’apparence de Millenium mais une saveur autre, de celle qui vous laisse un gout de cendre dans la bouche. Une bonne adaptation c’est rare, raison de plus pour saluer cette nouvelle cuvée qui réussit l’exploit de gagner sur tous les tableaux.
 
 

David Fincher passe haut la main l’exercice du remake et nous offre une œuvre beaucoup plus personnelle qu’elle n’y paraît.