Critique : Rango

 

Un film de Gore Verbinski.Avec les voix de Johnny Depp, Isla Fisher, Abigail Breslin. Sortie le 23 mars 2011.

 

Gore Verbinski et Johnny Depp délaissent les dreadlocks de Jack Sparrow pour coller aux basques d’un drôle de lézard. Psychotropes vivement conseillés !

Note : 4/5

 

« Ils ont fumé quoi ? »… Telle est la question que l’on pourrait se poser devant Rango, délire animé dans lequel un lézard un peu schizo s’improvise shérif d’une petite ville perdue de l’Ouest américain. Tour à tour yes man (la trilogie Pirates des Caraïbes) ou entertainer de luxe (Le Mexicain), Gore Verbinski abandonne un temps les sentiers archi rabattus du blockbuster familial pour nous pondre ce véritable OFNI pensé bien avant la trilogie Pirates des Caraïbes. Un virage qui n’a rien de soudain pour ce cinéaste qui nous avait déjà surpris avec l’introspectif –et réussi- The weather man réalisé entre deux couillonades pour enfants gâtés ! Une profonde dualité qui n’est pas sans rappeler celle de son héros titre.

 

 

Johnny Depp dans Rango de Gore Verbinski
Johnny Depp dans Rango de Gore Verbinski

 

Inséparables depuis qu’ils ont joué aux pirates pour Disney, Johnny Depp et Gore Verbinski prennent ici un malin plaisir à naviguer à contre courant du tout venant en matière d’animation. Un peu comme s’ils s’autorisaient un ultime pied de nez à l’oncle Walt avant de revenir bien gentiment au bercail pour l’adaptation de The Lone Ranger. Comprendre par là que Rango n’a rien de mignon et n’ambitionne en aucun cas d’être le nouveau maitre étalon du genre. Non, les voies de l’excellence, le lézard de Verbinski préfère les laisser à Pixar, maitre incontesté et jusqu’ici indétrônable du chef d’œuvre animé. En effet, bien que techniquement bluffant, Rango s’amuse davantage à jouer la carte de l’iconoclasme tendance Las Vegas Parano. Ici, le « héros » est une drôle de bestiole mal dans ses écailles tandis que la faune locale, composée de péquenauds de tous poils et plumes, fait office d’oubliés de l’El Dorado US. Une belle brochette d’attachants losers s’agitant devant la caméra d’un Verbinski revenu au stade séminale de l’enfant mal élevé.

 

 

Johnny Depp et Isla Fisher dans Rango de Gore Verbinski
Johnny Depp et Isla Fisher dans Rango de Gore Verbinski

 

A l’aise comme un caméléon dans le désert, Johnny Depp apporte toute sa désinvolture au personnage titre via une impressionnante palette de postures vocales et corporelles. Un tour de force à mettre non seulement au crédit de l’acteur mais surtout du réalisateur qui a développé une technique de doublage inédite l’Emotion Capture, technique consistant à demander aux comédiens de jouer les scènes du film sur un plateau, en costumes et avec de vrais décors. D’où l’agréable impression de voir les acteurs incarner littéralement leurs avatars animaliers avec un plaisir hautement communicatif. Sombreros bas aux hiboux mariachis dont chaque apparitions et chansons provoquent tour à tour l’hilarité et une furieuse envie de descendre quelques litres de tequila ! Narrateurs de génie, ils personnifient à merveille l’esprit du film à cheval entre hommage sincère et révérence dégénérée. Taquin sans jamais être irrespectueux, Verbinski reprends à son compte les codes inhérents au western pour mieux les diluer dans un ensemble où absurde et aventure se montrent étrangement complémentaires. Un peu comme s’il avait trouvé un dénominateur commun et fort bien caché entre le cinéma de Sergio Leone et celui de Terry Gilliam . A cela s’ajoutent des références à gogo (dont un « cameo » aussi savoureux qu’emblématique) convoquant aussi bien L’Homme qui tua Liberty Valance que le culte Django de Sergio Corbucci. Mais tout cela ne serait rien sans l’incroyable souffle épique se dégageant du film par l’entremise d’une superbe BO, où les orchestrations de Hans Zimmer mariées à celles des Los Lobos flattent continuellement nos oreilles, et des séquences utilisant le format Scope à très bon escient. Le résultat, forcément hors normes,  se trouve à la double lisière entre comédie déglinguée et western avec un grand W, film pour kids et œuvre d’une étonnante maturité.

 

Drôle, psychédélique, la dernière folie du tandem Verbinski/Depp est une quête identitaire totalement allumée sentant bon la sortie de piste contrôlée. On en redemande !