Critique : Selma

 

Un film d’Ava DuVernay avec David Oyelowo, Tom Wilkinson, Oprah Winfrey. Sortie le 11 mars 2015.

 

Cinquante ans après la célèbre marche des droits civiques en Alabama avec Martin Luther King en tête, Selma rappelle combien le peuple noir américain a dû faire du chemin pour acquérir une certaine liberté et combien la route est encore longue de nos jours.

 

Note: 4/5

 

Loin d’être un biopic sur la vie de Martin Luther King, le troisième long-métrage d’Ava DuVernay (après deux films, inédits en France et une carrière dans la distribution de films) débute pourtant plein cadre sur le visage du célèbre activiste, sous les traits du britannique et excellent David Oyelowo. L’homme se prépare à recevoir son prix Nobel de la paix à Oslo en Norvège et s’entraine à déclamer son discours avec sa femme Coretta. Un moment intime du couple King qui reviendra par épisode dans le film tant le fil des évènements secouera le couple. La qualité du film est qu’il revient sur tous les tenants et les aboutissants de cet événement historique. Du devant de la scène aux coulisses où des négociations se discutent en privé, tous les « acteurs » de cet enjeu sociétal existent dans le film: de l’infirmière Annie Lee Cooper (joué par Oprah Winfrey qui est également productrice du film) au président Lyndon B. Johnson (Tom Wilkinson) en passant par des étudiants activistes non violents, l’entourage de King, la militante blanche Viola Liuzzo, Malcolm X, J. Edgar Hoover ou encore le gouverneur de l’Alabama, George Wallace (campé par Tim Roth). Bien que les protagonistes et les antagonistes soient démarqués, la question du droit de vote des noirs crée des dissensions au sein de chaque camp. La ville de Selma devient alors le théâtre d’enjeux humains forts et complexes que seules des confrontations d’abord pacifistes puis violentes, sauront donner le dénouement tant attendu. La réalisation d’Ava DuVernay est soutenue bien qu’inégale. Une séquence choc d’un attentat au début du film peut faire craindre le côté sensationnel mais ce sentiment est vite évacué par la suite du film bien qu’une certaine forme d’académisme plane.

 

© Studio Canal
© Pathé

 

Ceci étant dit, il y a de solides séquences comme les premières protestations pour les enregistrements des votes, les discours de Martin Luther King, ses moments privés avec sa femme (une notamment où cette dernière lui demande s’il l’aime après des révélations de relations extraconjugales) ou intimes où il est seul face à ses choix et ses doutes ou encore lorsqu’il réconforte un père de famille âgé, endeuillé par la mort de son fils. Il faut dire que le casting ici est très efficace; des premiers aux seconds rôles, tout semble juste. David Oyelowo et Carmen Ejogo, tous deux acteurs britanniques, trouvent un rôle marquant pour leur carrière; Tim Roth se permet de forcer un peu le trait de son personnage sans en faire trop, Tom Wilkinson semble à l’aise dans le fauteuil du président tout comme Dylan Baker dans celui du chef du FBI. Peu connu, l’acteur Nigel Thatch est bluffant en Malcolm X et les apparitions de Martin Sheen, Cuba Gooding Jr, Common, Ledisi ou Niecy Nash (pour les amateurs de la série Reno 911) s’insèrent dans l’ensemble avec harmonie. À noter, la présence de la jeune et ravissante Tessa Thompson parmi les étudiants activistes qu’on retrouvera ce mois-ci en tête d’affiche de Dear white people, un autre regard sur la jeunesse noire américaine de classe moyenne d’aujourd’hui. Le tout est soutenu par une musique du jeune pianiste de jazz Jason Moran et par des chants de Negro Spirituals où on sent l’âme du Sud des États-Unis, très appropriés pour l’occasion. Sans trop tirer sur la corde sensible et sans être trop démonstratif, Selma est notable par sa volonté de retranscrire une étape clé de l’Amérique des années 60 et parce qu’il sort à un moment où l’Amérique d’aujourd’hui cherche encore des réponses face à des actes qu’elle croyait être d’un autre siècle. La marche continue.

 

Selma montre à quel point l’enjeu des droits civiques afro-américains fut important dans les années 60. Un tantinet académique, le film convainc grâce à son casting et son scénario de qualité alliés à une mise en scène inspirée et parfois astucieuse.