Critique : Spectre

 

Un film de Sam Mendes. Avec Daniel Craig, Christoph Walz, Léa Seydoux. Sortie le 11 novembre 2015.

 

James Bond revient pour un (ultime ?) tour de piste en forme de gros aveu de faiblesse. L’heure de la retraite aurait-elle sonné ?

 

Note : 2/5

 

Fut un temps où chaque James Bond était attendu comme le messie avant que l’Histoire nous rappelle que la licence fonctionnait en termes de cycles souvent conclus par des opus à la qualité plus que déclinante. Chaque Bond a eu son heure de gloire avant que la déchéance – ou tout du moins une certaine lassitude – soit cristallisée par un film. Ainsi, Sean Connery a eu Les Diamants sont éternels, Roger Moore son Dangereusement vôtre et Pierce Brosnan l’inénarrable Meurs un autre jour. Autant de mauvaises passes rendant d’autant plus évident le besoin pour le célèbre agent secret de changer de peau. Pour Daniel Craig, l’heure de la retraite bondienne sonne (déjà) avec Spectre. Non pas que le comédien ne convainc plus en 007 mais force est de constater que les signes de fatigue se font déjà ressentir. Et si aujourd’hui nous sommes très durs envers le film malgré d’indéniables qualités (citées plus bas), c’est que celles-ci sont bien mineures au regard d’une somme de défauts indignes des ambitions tracées depuis l’arrivée de Daniel Craig et qui n’auront cessées de monter en puissance jusqu’à l’excellent Skyfall en 2012. Il faut dire que ce dernier avait placé la barre très haut tant en termes de mise en scène que de caractérisation des personnages nous rappelant si besoin est que le « cycle Daniel Craig » s’apparentait davantage à une réappropriation du personnage qu’à une inscription naturelle au sein d’une saga qui voudrait pondre des petits James interchangeables. En l’espace de trois films (Casino Royale, Quantum of Solace, Skyfall), ce Bond 2.0. aura eu le temps de murir, d’évoluer, trainant avec lui le carcan de la mort et de la solitude pour au final l’embrasser plus que le rejeter. Ce cycle très particulier se sera davantage attaché à raconter la naissance puis la maturation d’une figure mythologique. Une chouette idée, un dépoussiérage bienvenu tant on sentait Bond plus enclin à porter les charentaises que le walter PPK ! Le Bond nouveau fraichement arrivé faisait enfin preuve d’ambition et ce n’était pas trop tôt ! Dans cet épisode, le célèbre agent secret se lance à la poursuite d’une mystérieuse organisation appelée Spectre, sorte d’ONU du Mal uniquement vouée à semer le chaos et la désolation aux quatre coins du globe (Pourquoi ? Parce que !) et dirigée par un personnage mystérieux semblant connaitre Bond intimement. Pendant ce temps, M doit faire face à l’arrivée d’un jeune premier ministre aux dents longues bien décidé à recourir aux drones en lieu et place du programme 00. Et si les deux évènements étaient liés ? Un pitch prometteur prompt à un final en apothéose tel que le laissaient présager des trailers cryptiques à la tonalité résolument sombre. James étant enfin devenu Bond (à moins que ce ne soit l’inverse), il était temps pour le plus flegmatique des espions de rencontrer son Némésis et, pourquoi pas, l’Amour. Malheureusement pour nous, ces derniers ont des incarnations bien pauvres entre une Léa Seydoux aussi expressive qu’une endive en plein hiver et un Christoph Walz encore plus cabot que dans le déjà pas très finaud Big Eyes, il y a de quoi se demander si nous ne sommes pas finalement devant un OSS 117 ou un Austin Powers tant les velléités de conquête du monde du bad guy de service renvoient directement à celles du Dr Denfer ! Et pourtant, les choses démarraient plutôt bien entre un plan-séquence d’ouverture absolument dantesque et d’une tension incroyable, une course-poursuite à Rome rondement menée et la présence envoutante bien que trop courte de la belle Monica Bellucci, on était en droit de se dire que si Spectre n’arrivait pas vraiment à la cheville de Skyfall, il pouvait toutefois prétendre à une certaine classe !

 

Sony Pictures
Sony Pictures

 

Malheureusement, passées ces fulgurances bondiennes, Spectre pose un à un les jalons de ce qui se révélera être au final l’un des opus les plus paresseux et ineptes de la saga. Paresseux d’abord car le film se sert de son esquisse d’intrigue comme prétexte pour mieux jouer la carte du fan service en égrainant les références à la saga Bond sans jamais se poser la question du trop plein. A la subtilité de Skyfall qui jouait aussi cette carte mais de manière beaucoup plus fine et intelligente, répondent ici des œillades tellement appuyées qu’elles en deviennent gênantes. De Goldfinger à Moonraker en passant par Au service secret de sa majesté ou Vivre et laisser mourir, tout est passé ici dans une espèce de gigantesque moulinette, un « pot-pourri bondien » dans lequel Mendes ressort les « pires » clichés (drôles hier, désuets aujourd’hui) inhérents à la saga James Bond. Une opération séduction plus cynique que révérencieuse tant elle s’avère voyante et opportuniste. D’où l’impression de se retrouver devant une sorte de « James Bond pour les nuls » d’autant plus étonnant que cela contredit totalement la ligne directrice adoptée depuis Casino Royale. Spectre se voudrait old school, il finit ici par être vieillot et surtout totalement déconnecté de la réalité dans laquelle le Bond de Craig s’était installé jusque-là. Et peu importe au final s’il tente péniblement de raccrocher les wagons avec les autres opus de la période Daniel Craig, la tentative est tellement grossière qu’elle peine à convaincre et à inscrire Spectre comme partie intégrante d’un cycle. L’arrivée de Léa Seydoux en Bond Girl finit par enfoncer le cou d’un opus qui au final aura usé de beaucoup d’artifices pour masquer un je-m’en-foutisme général aussi bien devant que derrière la caméra. Particulièrement fade et n’essayant jamais de prétendre à un quelconque charisme, la comédienne donne une nouvelle dimension au terme neurasthénique, si bien que sa romance avec Bond provoque une indifférence telle qu’il sera bien difficile au spectateur de sortir de la léthargie dans laquelle Sam Mendes l’aura préalablement plongé. Au final, ce qui choque davantage dans Spectre ce n’est pas tant sa propension à se reposer sur ses acquis, que son manque d’ambition, son approche au ras des pâquerettes cristallisées par un Christoph Waltz ultra cabotin dont les motivations intimement liées à son passif avec Bond atteignent des sommets de ridicule digne d’un Bond période Roger Moore. Spectre finit par se transformer en auto-parodie dans laquelle acteurs et réalisateur peinent à cacher le fait qu’ils cachetonnent. Reste le plaisir de voir Bond en action comme pour nous rassurer sur le fait que certaines icônes cinématographiques restent immuables. C’est bien peu et on attend désormais que la saga accepte de se remettre en danger en proposant par exemple à un certain Idris Elba de reprendre le costume de Bond. On peut toujours rêver !

 

A trop verser dans le fan service, Spectre finit par tomber dans son propre piège : celui de l’opus cynique et dépassionné réalisé pour engraisser une machine qui n’a pourtant pas besoin du box-office pour exister.