Critique : Suicide Squad

 

Un film de David Ayer. Avec Margot Robbie, Will Smith et Joel Kinnaman. Sorti depuis le 3 aout 2016.

 

Après ses super-héros, DC dévoile ses anti-héros pour un résultat frustrant car rempli de promesses tuées dans l’œuf. Explications.

 

Note : 2/5

 

Il y a des ratages qui rendent tristes (Les 4 fantastiques) et il y en a d’autres qui fascinent autant qu’ils inquiètent. Suicide Squad est de ceux-là, car plus qu’une déception, il montre clairement la différence entre un mauvais film et un accident industriel et comment une campagne marketing beaucoup trop offensive peut mettre cette différence en exergue. Fruit d’une communication savamment pensée, Suicide Squad a démarré sa campagne d’évangélisation il y a tout juste un an à l’occasion de la sacro-sainte Comic Con. Une photo de Jared Leto en Joker tatoué et une bande annonce rythmée au son d’une playlist judicieusement trouvée auront suffi à nous hyper à mort en donnant le ton de ce qui s’annonçait clairement comme une bobine punk et furieusement iconoclaste, une sorte de Gardiens de la Galaxie en plus « terrien » et moins « aimable » ! Un an plus tard la sentence est sans appel : Suicide Squad n’est malheureusement pas le film anarcho super-héroïque qui nous a été vendu. La faute à qui ? A Marvel d’une certaine façon qui, en suivant un cahier des charges bien précis, aura marqué le pas vers une standardisation du super heros movie et par extension du blockbuster. Symptomatique de cet état de fait, le film de David Ayer, bien qu’issu de l’écurie DC, se réapproprie toutes les tares, tous les gimmicks des productions Marvel, allant jusqu’à nous imposer la traditionnelle scène post-générique.  Le résultat, totalement bâtard, peine à se trouver une tonalité, pris en étau entre deux conceptions opposées du blockbuster : le divertissement badass vs le film de super-héros PG-13. Une dualité qui se ressentira tout au long d’un long métrage qui ne cessera de naviguer à vue sans jamais se trouver un réel cap, une identité. Et pourtant, les choses commençaient plutôt bien avec une ouverture efficace et bariolée où la musique, omniprésente, introduit judicieusement chaque personnage. Malheureusement, ce qui était un astucieux dispositif narratif se transforme rapidement en gimmick insupportable où chaque scène est prétexte à balancer une musique, transformant la première partie en juke-box movie, cache-misère à peine voilée d’un film qui perdra peu à peu de sa singularité. Car contrairement à un Civil War qui relève avant tout de l’opération marketing bien huilée, Suicide Squad tient davantage du gros accident industriel, de la sortie de route orchestrée par un studio aux ambitions ambivalentes. En voie de « marvelisation »,le film de David Ayer se soucie davantage de verser dans le fan service que de raconter une histoire, prône la fusion des univers plutôt que leur complémentarité et tente vainement de raccrocher les wagons en faisant méchamment de l’œil aux fans qu’il caresse dans le sens du poil. Totalement représentatif de cette prise de position en est le traitement réservé au Joker. Parti de la noble intention d’ancrer ce personnage dans une réalité plus urbaine, furieuse, le Joker de Jared Leto aurait pu être à l’image de ce qu’aurait pu être Suicide Squad : dangereusement loco et ambivalent. Las, il se révélera ici être davantage une péripétie qu’une véritable force vive de l’histoire, une figure imposée prétexte à aligner les références superflues. On voulait un antagoniste intéressant, on aura au final un gangsta bling-bling, sorte d’ersatz de Joey Starr avec des cheveux verts et un teint pâle dont le potentiel dramatique pourtant énorme (notamment dans sa romance avec Harley Quinn, ici totalement survolée) se voit ici totalement sacrifié.

 

Warner Bros Pictures
Warner Bros Pictures

 

Alors que les critiques négatives pleuvent, les masques eux tombent, révélant une production qui n’a pas été aussi idyllique que ça, comme l’atteste l’article du Hollywood Reporter. Ce « development hell » qui ne dit pas son nom se ressent à l’écran notamment à travers une construction totalement anarchique trahissant des trous narratifs béants, une pelleté de scènes coupées et des reshoots tout aussi visibles. Warner nous refera-t-il le coup de BatmanvSuperman en promettant une version longue qui rectifiera le tir ? Pas sûr tant le film de Zack Snyder faisait preuve dès sa version cinéma d’une ambition, d’une ampleur narrative, qui fait ici grandement défaut à Suicide Squad peu aidé par un script proprement stupide lorgnant (ATTENTION SPOILERS) du côté de Stargate et du jeu The Last of Us (FIN SPOILERS). Dommage, mille fois dommage, tant Suicide Squad recelait de belles promesses, à commencer par son réalisateur. Scénariste émérite de Training Day, cinéaste guerilla capable du meilleur (Fury) comme du pire (Bad Times), David Ayer semblait être l’homme de la situation pour mener cette escouade suicide. Qui d’autre que lui pouvait comprendre et gérer au mieux la dynamique de groupe ? Personne à priori.  Malheureusement, on ne sait trop vraiment pour quelle raison, le réalisateur, comme dépassé par l’ampleur de l’entreprise ou pris à son propre piège, peine à créer un véritable esprit d’équipe, élude ses personnages dont la caractérisation frise le néant et survole ses enjeux dramatiques pour mieux se concentrer sur Deadshot et Harley Quinn. Si Will Smith se montre plutôt convaincant malgré une tendance à se contenter de faire du Will Smith, c’est surtout Margot Robbie qui remporte tous les suffrages. Bouffant littéralement l’écran, l’actrice, absolument géniale en groupie décalquée du bulbe, insuffle au film cet esprit doux dingue et cette humanité qui lui fera défaut deux heures durant. Ne cherchez plus : si vous n’aviez besoin que d’une raison (et en l’état il n’y a pas beaucoup d’autres) de voir Suicide Squad, ce serait elle. Mais voilà, on ne construit pas un film sur un unique personnage surtout quand il s’agit de mettre en scène un groupe dont la complémentarité (jamais mise en avant ici) doit aller à bout des pires menaces. D’autant plus frustrant que se ressent chez Ayer tout du long une envie de sortir des sentiers battus sans que celle-ci ne soit jamais exploitée. En atteste une direction artistique recherchée, marque d’une volonté de donner une véritable tonalité au film, annihilée par la volonté totalement paradoxale et contre-productive des studios de rester dans le rang là où la marge se révélait indispensable si ce n’est salutaire.

 

Aussi recherché esthétiquement que bâclé narrativement, Suicide Squad est un ratage fascinant, reflet à peine voilé d’une industrie qui s’auto-sclérose à force de figures imposées.