Un film de Alex de la Iglesia . Avec José Mota, Salma Hayek et Blanca Portillo. Sortie le 12 décembre 2012.
Alex de la Iglesia s’attaque avec Un jour de chance au délicat sujet de la crise. Délicat car d’actualité, qui pose la question du recul nécessaire à l’interprétation, et délicat par la tentation – omniprésente – de sombrer dans le pathos.
Note : 5/5
Un jour de chance est un appel au secours, un cri de désespoir, un dernier souffle. Dans un monde en crise, qui continue de tourner malgré le mal qui le ronge, la chance ne sourit qu’aux démunis mais de quelle chance s’agit-il ? Quand l’homme en est réduit à un tollé médiatique, quand une existence qui ne tient qu’à un fil devient l’objet de négociations, pouvons-nous encore parler de chance ? Roberto porte à bout de bras le poids d’une société meurtrie, éclatée, sur le point de se rompre. Ce chômeur qui ne supporte plus son inactivité, relative à une déshumanisation consciente, décide de se raccrocher à la seule chose, inoxydable, qu’il lui reste : l’attachement fusionnel de ses proches. En entendant surprendre sa femme, il apprend que l’hôtel qui a jadis abrité leur nuit de noces recèle désormais les ruines d’un théâtre antique. Happé par l’inauguration du site, il s’empale sur une barre de métal sans perdre connaissance… Dans cette arène chargée d’histoire et de sens prend alors effet le jeu macabre, caustique, absurde intrinsèque à toute tragédie grecque. Se succèdent à tour de rôle les médecins, journalistes et opportunistes qui s’approprient l’événement jusqu’à l’issue, fatale. Roberto, figure allégorique de ce monde abattu, ne subit plus son immobilisme mais le contrôle et tente d’assurer l’avenir de sa famille en monnayant sa soudaine notoriété. Qui parviendra à obtenir en exclusivité la dernière interview du condamné, qui l’élèvera au rang de martyr ?

A travers ce huis clos à ciel ouvert, immersif au possible, Alex de la Iglesia prend douloureusement le spectateur à parti. Puisque nous sommes tous de potentiels accidentés de la vie, le « prix » du sacrifice en vaut-il la chandelle ? Qu’aurions-nous intenté à la place de Roberto ? Le suspense, ponctué de touches de dérision bienvenues, qui parent temporairement à l’horreur et au drame en action sous notre regard impuissant, est maintenu jusqu’au générique final, jusqu’à l’instant critique où les forces contradictoires cessent de s’affronter. Avec un casting brillant de véracité – dont une mention spéciale à Salma Hayek en mère courage impitoyable – et une réalisation suintante, subjective, au rythme des choix du héros, le metteur en scène nous démontre qu’il maîtrise de bout en bout son œuvre, tel le pantin dont il manipulerait avec une dextérité effrayante les ficelles, et cultive à la perfection l’art de la controverse, sans jamais s’autoriser à condamner (au sens figuré) ses personnages. En évitant tous les écueils, le réalisateur réussit le pari insensé de faire cohabiter dans un film comme dans un seul homme l’amour et la haine, la passion et l’argent, l’ironie et la violence et signe un long métrage bouleversant d’intensité. Tel Roberto, nous vous tirons notre révérence, Monsieur de la Iglesia, puisque le mal est fait. Nous ne sortirons pas indemnes de ce Jour de Chance…
Véritable ode à la persévérance face à un monde devenu incontrôlable, Un jour de chance nous tord, nous déchire, nous abat, nous rappelle aussi que nous ne sommes qu’humains mais nous conforte dans l’image d’Epinal d’une famille impérissable. Un film à voir, indiscutablement.