Dossier : Alex Proyas ou l’histoire d’un (ancien ?) cinéaste culte

 

A l’occasion de la sortie de Gods of Egypt d’Alex Proyas, Cinevibe revient sur la carrière de ce réalisateur qui commença brillamment avec The Crow et Dark City et baissa en qualité avec I, Robot et Prédictions.

 
Il y a des réalisateurs dont les premiers films laissaient augurer le meilleur pour la suite de leur carrière et qui ne nous ont jamais déçus. C’est le cas de Darren Aronofsky et de Christopher Nolan dont Pi et Memento étaient remarquables. Il y en a d’autres qui n’ont pas réussi à donner suite à leurs coups de maître. Alex Proyas fait partie de cette deuxième catégorie. The Crow et Dark City sont devenus des films cultes malgré un accueil mitigé des critiques à l’époque de leur sortie. Le premier est maintenant considéré comme l’un des meilleurs « comic book movies » et le deuxième est devenu un classique de la SF. On trouve dans ces deux films une véritable signature visuelle, une personnalité. La mise en scène crée avec la musique une ambiance onirique. La composition des plans est extrêmement précise. Presque chaque image est un tableau. On y voit un univers sombre, nocturne et mystérieux inscrit dans un décor gothique de ville imaginaire. Si The Crow séduit pour l’expérience sensorielle qu’il procure et pour son héros incarné par le regretté Brandon Lee, Dark City est puissant par la forme et aussi par le fond. L’histoire imaginée par Alex Proyas et développée avec l’aide de David S. Goyer est d’une richesse rarement vue dans le cinéma de genre. Remercions également le directeur de la photographie Dariusz Wolski (Pirates des Caraïbes et Prometheus) pour la qualité des images des deux films. Proyas aurait pu continuer dans la même veine, mais cela ne fut pas le cas. I, Robot d’après Asimov est correct mais on ne reconnaît à aucun moment la patte du cinéaste, pareil pour le médiocre Prédictions. Il nous revient après 7 ans d’absence avec Gods of Egypt dont la bande-annonce remplie d’effets numériques moches laissait craindre le pire. Revenons sur la carrière de ce réalisateur qui nous a tant fait rêver dans les années 90.

 

 

Les années 80 : du premier court-métrage au premier film

Alex Proyas a étudié le cinéma à l’Australian Film Television and Radio School où il s’est fait remarquer en 1980 avec son court-métrage de fin d’études Groping co-réalisé avec Salik Silverstein. Ce court-métrage sur le viol et le meurtre d’une femme auquel assistent sans rien faire les habitants d’un immeuble renferme deux thèmes récurrents dans la filmographie du cinéaste : la solitude des êtres dans une grande ville, telle la scène où le héros de Dark City déambule dans les rues tandis que tout le monde dort, et le rêve dont le film a les apparences. Les décors urbains, l’utilisation du stop motion et l’ambiance sonore créent une atmosphère onirique. A la fin de ses études, il a réalisé des clips vidéo, notamment pour Sting ou le groupe australien INXS, et des publicités pour la société Propaganda de David Fincher. C’est en partie de là que vient son style, un accord parfait entre la musique et les images qui nous séduit dans The Crow et Dark City. En 1989, il réalise en Australie Spirits of the air, Gremlins of the clouds, son tout premier long-métrage qui n’est pas sorti en France. Ce film dont le scénario tient en une phrase, un homme recherché par on ne sait qui est hébergé par un infirme habitant avec sa sœur et qui construit une machine volante, gagne à être connu. Plein de poésie, il bénéficie de superbes images de déserts australiens et d’une musique signée par Peter Miller belle à faire pleurer les plus sensibles. Il mériterait au moins une sortie en DVD ou Blu-Ray. C’est en 1994 que la France fait sa connaissance, d’abord au Festival de Cannes avec son court-métrage Book of Dreams : Welcome to Crateland qui met en scène le rêve d’une femme, et avec The Crow sorti sur nos écrans en août 1994. C’est le début de l’âge d’or « proyasien ».

 

 

 

Les années 90 : l’âge d’or « proyasien » 

 The Crow est d’abord un comic-book de James O’Barr. Cette histoire d’un homme ramené d’entre les morts par un corbeau pour se venger de ses assassins qui ont également tué sa fiancée était un moyen pour l’auteur d’exprimer sa douleur. Un chauffard avait renversé mortellement sa femme. Quand des producteurs voulurent en faire un film, Alex Proyas, fan de la BD, répondit présent. Brandon Lee fut choisi pour jouer le rôle d’Eric Draven, alors qu’il n’avait tourné que dans des navets. Il y trouva la mort en plein tournage des suites d’une balle tirée d’un revolver censé être chargé à blanc. Cette mort est d’autant plus tragique qu’il y crève l’écran et fait du personnage qu’il incarne l’un des plus beaux héros romantiques du cinéma fantastique. C’est un héros vengeur qui ne montre aucune pitié envers ses assassins pour que lui et Shelly puissent reposer en paix. C’est aussi un ange, celui de la petite Sarah dont lui et Shelly s’occupaient de leur vivant. Les relations qu’il entretient avec elle et le flic qui enquête sur sa mort (Ernie Hudson) sont touchantes. Le film est un bijou de poésie dont presque chaque plan est un poème. James O’Barr salua d’ailleurs cette adaptation pour son respect de l’univers graphique de la BD. Les images s’accordent parfaitement avec la merveilleuse musique de Graeme Revell complétée par une BO rock du tonnerre (Pantera, Violent Femmes, The Cure…). La photo de Dariusz Wolski et les décors gothiques de la ville conçus par Alex McDowell (Watchmen, Upside Down) sont magnifiques. On se souvient encore des plans du corbeau survolant la ville et de Brandon Lee sautant de toits en toits, accompagné par la chanson Dead Souls de Joy Division reprise par Nine Inch Nails. Grâce au succès commercial de The Crow qui amena 3 suites oubliables et une série passable, les studios permirent à Alex Proyas de concrétiser le projet du futur Dark City sur lequel il planchait depuis longtemps.

 

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L’origine de ce projet vient des rêves que Proyas faisait enfant. Il y voyait les Étrangers venir dans sa chambre pendant qu’il dormait pour changer les meubles et les objets de place. Le film ressemble d’ailleurs à un cauchemar existentiel sur l’absence du libre-arbitre et de liberté. Les références à l’expressionnisme avec les clairs-obscurs, l’aspect des Étrangers et la ville sont évidentes. Cette ville est un personnage à part entière. C’est un ensemble de décors et de maquettes construits en studio par Patrick Tatopoulos. Le recours aux effets numériques a servi uniquement à donner de la profondeur de champ. Avec cette ville en métamorphose perpétuelle pour être en accord avec le changement d’identité des habitants, Dark City a fait l’objet d’articles dans des revues d’architecture. Outre l’expressionnisme, le film regorge d’influences, que celles-ci soient avouées ou non. L’aspect de la ville nous rappelle les tableaux d’Edward Hopper, les films Metropolis, Blade Runner et La Cité des enfants perdus de Jeunet et Caro, et les BD Les cités obscures de Schuiten et Peeters. Il reprend les codes de plusieurs genres : le film noir avec une intrigue tarabiscotée et les personnages archétypes, la SF avec les Etrangers qui sont des extraterrestres, le thriller avec la traque d’un tueur en série et le fantastique avec l’atmosphère inquiétante et la réalité incertaine. L’ histoire en elle-même aurait pu être écrite par Philip K. Dick. Le propos principal, des personnages découvrent que leur vie est fabriquée par de faux souvenirs et que leur ville n’est qu’un décor posé sur un vaisseau laboratoire errant dans l’espace, correspond à son thème de prédilection : le doute sur la réalité. D’ailleurs, Etienne Barillier considère Dark City comme le maître étalon des films dickiens dans son Petit guide à trimbaler de Philip K. Dick. Mais croire que ce film n’est qu’un mélange d’influences serait une erreur. Il est d’une extrême richesse même si la trame semble simple au premier abord. Il suscite un grand nombre d’interrogations liées à des thèmes philosophiques : la réalité (la réalité physique qui peut ne pas être réelle), le temps (la ville hors du temps et le temps manipulé), l’absurdité de la condition humaine (la spirale), le lien entre la mémoire et l’identité (sommes-nous la simple somme de nos souvenirs ?), l’illusion théâtrale et le méta film (les Étrangers font office de scénaristes, décorateurs et directeurs de casting)… La musique de Trevor Jones est inoubliable.

 

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Malgré tout cela, le succès critique et public ne fut pas au rendez-vous à sa sortie en 1998. La faute en partie à Matrix que tout le monde attendait et à l’impression bizarre laissée par son rythme rapide. Avec le temps et grâce au bouche à oreilles, il a fini par devenir culte. Une version director’s cut a vu le jour en Blu-Ray dans laquelle le cinéaste montre le film comme il aurait voulu qu’il soit sans l’intervention des producteurs. L’absence de la voix-off du docteur Schreber rajoute du mystère et le rythme, plus lent, correspond plus à celui d’un film noir. Quant à savoir laquelle des versions est la meilleure, à chacun de se faire son opinion…

 

 

 

Les années 2000 : la descente du piédestal

 En 2002, Proyas réalise en Australie Garage Days qui n’a pas droit à une sortie en France. Il y délaisse le fantastique et les ambiances sombres pour se tourner vers la comédie. On y suit les aventures d’un groupe de rock australien pas formidable qui tente de percer et de jouer dans un festival prestigieux. C’est un petit film ultra sympathique et complètement azimuté. On reconnaît encore le style du cinéaste dans sa façon de mettre en scène les délires des personnages. Puis, il revint chez nous en 2004 avec I, Robot, librement inspiré des romans Les Cavernes d’acier et Les Robots et de la nouvelle Le Robot qui rêvait d’Isaac Asimov. Le film se regarde avec plaisir, mais il n’est absolument pas « proyasien ». Ce n’est qu’un film de SF comme les autres et on ne reconnaît à aucun moment le style du cinéaste. L’univers futuriste est froid. Il n’y a pas ou peu de recherche dans la mise en scène et dans la composition des images. Le choix de Will Smith pour interpréter le héros est une mauvaise idée. L’acteur y apporte un humour très « will smithien » qui fonctionne bien dans les Men in Black mais n’a rien à faire dans un film de Proyas. De plus, nous avons l’impression de regarder une pub pour plusieurs marques tellement le placement de produits va loin. Il s’agit d’un film purement commercial et sans personnalité. Il en aurait été certainement autrement si le cinéaste avait adapté Dick.

 

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Il en va de même de Prédictions sorti en 2009. L’idée est bonne : une suite de chiffres écrite dans les années 50 correspondant aux coordonnées, dates et nombres de victimes de grandes catastrophes dont la prochaine à venir est la fin du monde. Il y a de bons moments, notamment l’accident du métro et la scène du rêve de l’enfant du héros où l’on reconnaît bien le style de Proyas. Mais cela ne fonctionne pas et le film n’a pas rencontré son public à sa sortie en salles. Certains en rendent responsables Nicolas Cage, mais c’est plus au scénario que nous devrions nous en prendre. Le film ressemble plus à un Shyamalan des mauvais jours ou à un sous-Spielberg qu’à un Proyas. Comment expliquer la différence entre le Proyas des années 90 et celui des années 2000 ? Peut-on incriminer Hollywood ? Les studios pour lesquels l’objectif principal est le succès au box-office ont tendance à refuser les projets trop ambitieux ou trop personnels pour séduire le grand public. Ils peuvent aussi imposer au réalisateur des changements dans le scénario. C’est le cas de New Line qui a imposé à Proyas la voix-off de Schreber au début de Dark City de peur que les spectateurs ne comprennent pas l’histoire. Proyas semble avoir abandonné le combat contre le système après cette première concession. Avec I, Robot et Prédictions, il est passé du statut d’auteur qu’il était dans ses premiers films à celui de « faiseur ». Il sait moins bien s’entourer : Marco Beltrami qui signe la musique des deux films n’a pas le talent de Peter Miller, Graeme Revell et Trevor Jones. Cependant, il ne faut pas le juger de manière aussi définitive. Peut-être la qualité n’est-elle pas au rendez-vous parce que ce sont des films de commande qui ne correspondent pas à son univers. Sa seule erreur serait d’avoir accepté de les réaliser. Un retour en grâce est donc encore possible. Celui-ci aura-t-il lieu au cours des années 2010 ?

 

 

 

Les années 2010 : un retour en grâce après une traversée du désert ?

 Les années 2010 ont mal commencé pour Alex Proyas. Il devait revenir avec deux films qui auraient pu être des long-métrages « proyasiens » : Dracula Year Zero avec Sam Worthington dans le rôle du Comte et Paradise Lost adapté du Paradis perdu de John Milton sur la lutte entre Michel et Lucifer. Le projet de Dracula Year Zero fut mis de côté par Universal pour préoccupations budgétaires, puis la réalisation fut confiée à Gary Shore. Cela donna le correct mais un peu plat Dracula Untold avec Luke Evans. Quant-à Paradise Lost, la pré-production était avancée, le scénario écrit, le casting pour les personnages principaux au complet (Bradley Cooper, Djimon Hounsou, Benjamin Walker, Casey Affleck…). Mais Warner et Legendary Pictures abandonnèrent le projet en raison de son budget trop important : Proyas voulait le réaliser en 3D et en performance capture. Le cinéaste tourna la page pour écrire l’adaptation du court roman The Unpleasant Profession of Jonathan Hoag de Robert Heinlein dont il s’était en partie inspiré pour Dark City. Le pitch lui correspond bien : un homme qui ne se souvient jamais de ce qu’il fait durant la journée engage un couple de détectives privés pour le savoir. Mais c’est avec Gods of Egypt, son 7e long-métrage, qu’il fait son retour sur nos écrans. Le film représente-il le retour en grâce que l’on attendait tant ? Réponse dans notre critique.

 

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