En pleine promotion de Before Midnight, Julie Delpy a eu la gentillesse de bien vouloir participer à une table ronde pour répondre aux questions des curieux. Cinévibe était présent et vous livre l’interview de l’actrice en mode brut de brut. En somme, Julie Delpy c’est comme Sega… C’est plus fort que toi.
Before Midnight comporte peu de séquences, rendant l’ensemble assez singulier. Quels étaient les objectifs du réalisateur?
Le film est constitué exactement de quatre gros plans séquences. C’est un peu le challenge de ces films. On l’a fait un peu dans le premier. Plus dans le deuxième. Il y a cette grande prise au début dans la voiture. Physiquement on l’a fait de A à Z. C’est 14 minutes avec les petites filles qui se réveillent exactement au même moment. Ce qui est intéressant, c’est d’essayer de casser ce langage cinématographique traditionnel qui est du champ contre champ, du plan moyen… Là c’est un plan à deux, qui est le même tout le long de la scène, qui ne bouge pas, il n’y a pas de zoom, la caméra ne bouge pas et c’est un peu pour casser cette sensation de langage cinématographique. Le réalisateur voulait qu’on rentre dans quelque chose de plus naturaliste. On est vraiment dans la scène avec l’autre. Ça donne un certain rythme au film. Ce n’est pas la même chose qu’un film coupé. Ce n’est pas un nouveau genre parce que je pense que ça a été pas mal fait à l’époque. Richard (Linklater, le réalisateur/NDLR) aime beaucoup Snatch, la Nouvelle Vague et Bergman. Mais il n’y a pas beaucoup d’exemples. C’est un style très différent parce qu’il y a beaucoup de films qui se tournent en beaucoup de mois, avec des gens qui improvisent pendant six mois. D’ailleurs c’est plus facile de faire un bon film quand on a l’équivalent de 2000 heures de rush. Là c’est très minimaliste. C’est un réel challenge je vous avoue. Pas seulement l’écriture, la réalisation, mais les acteurs aussi.
Le tournage a t-il été éprouvant dans ces circonstances?
C’est un peu un cauchemar, mais un cauchemar excitant! On n’y arrive pas tout le temps. Mais quand on y arrive c’est presque une sorte de performance physique. C’est un flot complètement différent. C’est un challenge très très angoissant. L’adrénaline est là. Pourtant on ne fait rien de très dangereux. On est juste en train de lire un dialogue. La scène de la voiture. On l’a faite pendant deux jours. Il n’y a eu qu’une fois où la scène a été réussie. On est dans une voiture, mais il faut penser que c’est le cinéma. Le cinéma c’est plein de choses qui peuvent se passer. Une gélatine qui tombe, un enfant qui se réveille, des moutons sur la route car on est en Grèce. Mais on avait une équipe extrêmement performante donc ça nous aidait. Et puis, il suffit qu’on fasse une phrase qui n’est pas très bien senti, qui n’est pas très bonne. Ça casse toute la scène. Et là, comme ce n’est pas coupé et bien voilà. Il n’y a vraiment eu qu’une prise où Richard à dit « c’est bon, on l’a “. Il n’y avait que cette prise là. C’était la dernière de la journée, le deuxième jour. On ne pouvait tourner que le matin trois heures, parce qu’il y avait la lumière aussi. Deux trois heures le matin, deux heures l’après midi. Mais c’est ce qui est amusant. Plus c’est difficile, plus c’est excitant.
Comment Richard Linklater vous a t-il dirigé sur ce film?
On co-écrit avec lui, on fait les repérages avec lui, on fait les castings avec lui. On est très présent. C’est une grande collaboration. Au niveau des acteurs, sa direction est très simple. Il veut toujours le plus naturel possible. Généralement il ne critique même pas. Il dit juste » allez on en refait une, je pense qu’on peut la refaire mieux « . On a travaillé ensemble plusieurs fois. On sait ce qu’il veut. On sait qu’il veut un naturalisme total. Qu’on n’est pas l’impression de jouer. Ethan et moi on s’aide aussi, on se dirige entre nous. Très souvent je lui demande si c’était un peu joué. Il me le dit à peine mais il cligne de l’œil et il n’a pas besoin d’en rajouter, j’ai compris. Moi aussi je lui dis » c’était un tout petit peu faux à ce moment là « . Il dit « oui je l’ai senti ». Généralement on a conscience de ces choses là. Ça fait tellement longtemps. Moi maintenant je m’auto dirige donc je sais.
Passez du travail de réalisatrice au travail d’actrice. Chose facile ?
Oui. Avec Richard c’est très simple. On sait qu’on va être dans une prise pendant 14 minutes. Il veut ses longues prises. Je ne me mêle pas de ses décisions par rapport à ça. On le décide un peu à l’écriture d’une certaine manière. De toute façon on sait que Richard va vouloir faire ses longues prises où on marche en steadicam pendant 5 à 7 minutes. On sait que ça va être l’enfer pour nous les acteurs car ce n’est pas seulement un problème de texte, mais c’est aussi d’arriver à ce truc naturel et ne pas être chiant car c’est très dur de parler sans arrêt, de raconter des histoires sans être super chiant. C’est trouver le bon ton. A la fois hyper naturel et pas chiant.
Beaucoup de couples, ou de personnes ayant vécu en couple, vont se reconnaitre dans le film…
Les gens disent des choses très dures. Ils sont impulsifs, blessés et disent des choses qu’ils ne pensent pas forcément. Ça fait partie de la dynamique du couple. Les gens se déconstruisent pour se reconstruire, pour passer à un autre niveau. C’est complexe. J’ai été témoin d’un couple qui a vécu ensemble jusqu’à la mort de ma mère dans cette dynamique de destruction, de reconstruction. J’étais juste le témoin de ça, mais cela m’a aidé plus tard pour écrire. Je l’ai vécu aussi, évidement, mais pas autant d’une certaine manière. J’ai toujours été fascinée par les dynamiques de couple depuis l’enfance.
Pouvez vous nous parler plus précisément de la scène de la dispute ?
Elle n’est pas du tout improvisée. C’est un peu un rêve l’engueulade. Si on avait pu répondre cette phrase à ce moment là… C’était un peu un fantasme d’engueulade. C’est l’engueulade avec la réponse au bon moment. Spécialement, l’engueulade a été très longue et très dure à écrire, parce qu’elle est très construite. C’est un film en lui même d’une certaine manière. Il y a le film et il y a l’engueulade qui fait trente minutes. Elle est construite comme un film séparé, comme un moyen métrage, juste sur une engueulade. La séquence a été tournée en trois jours, c’est peu pour trente minutes, mais on avait beaucoup répété.

Le film interroge beaucoup le temps qui passe et le risque de la perte de l’être aimé…
Toute histoire d’amour finit par une séparation ou par la mort de l’un ou de l’autre. C’est toujours un peu l’angoisse de l’amour éternel. D’ailleurs ça m’angoisse tellement que c’est pour ça que j’ai envie d’avoir beaucoup de maris, comme ça je n’en n’aurai pas qu’un dont je serais séparée par la mort! (Rires). Il y en aura beaucoup qui me regretteront, donc c’est bien! Et moi je les regretterais tous! Je plaisante. L’idée de l’amour avec une personne exclusive c’est magnifique et en même temps c’est terrifiant. Quand cette personne est partie… J’en parle encore parce que je suis un peu obsédée par cette idée dans 2 days in New York. Est ce qu’on veut vivre toute sa vie avec une personne que possiblement un jour on perdra? Et là, on est seul au monde et abandonné. J’ai été témoin de ça à travers mon père et ma mère, c’est quelque chose de terrifiant. C’est beaucoup plus terrifiant que la séparation d’une certaine manière ou que même d’être seule. J’ai plus peur à l’idée d’être seule et séparée de l’homme, l’unique personne au monde qu’on aime, que de me retrouver seule et puis personne ne me regrettera. Quelque part c’est moins tragique.
Une scène fait référence à » Voyage en Italie » de Rossellini…
J’ai écris une petite scène où je parle de Voyage en Italie. Je ne le mentionne pas sinon ça fait un peu téléphoné, mais je mentionne ceux qui marchent dans les ruines. Il y a cette scène magnifique dans Voyage en Italie où ils sont en train de marcher dans Pompéi et c’est un peu une réflexion dans leur couple qui est en train de mourir. Voyage en Italie est un de mes films préférés. Je le mentionne aussi dans 2 days in Paris. Le film est un peu une sorte de chemin de croix du couple, jusqu’au moment où il y a une sorte de miracle, où l’amour revient. Mais là c’est différent évidement, on est davantage sur le dialogue. Dans Voyage en Italie ils parlent très peu, il y a une tension constante, mais c’est un film que j’adore. Donc c’est vrai que j’ai dis à Richard à Ethan de regarder ce film. Notre travail est très collaboratif. On s’échange les films. On est un peu comme des rats de cinémathèques.
Avez vous de nouveaux projets de réalisations ?
Oui, j’ai écris. Normalement pour le printemps prochain. Mais il y a du temps avant de voir mon prochain film. Je pense deux, trois ans. Il ne sera pas dans le style de Comtesse, ni dans le style Skylab, c’est encore autre chose. La Comtesse, Skylab et 2 Days in New York on été fait en trois ans et demi. J’ai pris une grosse pause parce que j’ai fais celui là et j’essaie de repenser à ce que je veux vraiment faire comme prochain film.
Vous vous sentez comme une actrice française ?
Je ne me définie pas en tant que française ou américaine. Je ne sais pas. Je n’ai pas envie de définir ça. Je ne sais plus ce que je suis! (Rires).
Merci à Julie Delpy et à Florian Lapôtre de Cinefriends