Séance de rattrapage : critique Black Swan

 

Un film de Darren Aronofsky. Avec Nathalie Portman, Mila Kunis, Vincent Cassel. Sortie le 9 février 2011

 

Darren Aronofsky quitte l’univers buriné de The Wrestler pour celui plus « calme » de la danse classique. Heureusement que les apparences sont trompeuses…

 

Note 4/5

 

Black Swan est un film terrifiant… Terrifiant d’abord à chroniquer car tellement complexe que toute analyse se révèlera forcément casse gueule au regard de la densité du sujet. Ce piège, inévitable, tout le monde l’a contourné (ou pas !) avec plus ou moins d’agilité. Toutefois, à trop intellectualiser la chose, on risque fort l’anémie cérébrale et la surchauffe du cortex ! Dès lors, comment se distinguer et proposer un angle d’attaque différent à défaut d’être original ? Et pourquoi ne pas aborder la bombe d’Aronofsky sous le prisme du genre, trop souvent ostracisé ? Qui ne tente rien n’a rien…

 

 

Nathalie Portman dans Black Swan de Drarren Aronofsky
Nathalie Portman dans Black Swan de Drarren Aronofsky

 

Black Swan n’est pas le premier film d’auteur à capitaliser sur l’inquiétante étrangeté propre aux plus grands films de trouille. En 2001, Mulholland Drive prenait le pari fou de réconcilier lecteurs de Mad Movies et des Cahiers du Cinéma (ou Fangoria et Premiere si on se borne au territoire US) via un enivrant maelstrom mêlant fantastique et critique désabusée de l’american way of life. Un juste milieu jusqu’ici atteint par… Twin Peaks ! Et si le cauchemar hollywoodien de Lynch peut être perçu comme un pendant horrifique de Boulevard du Crépuscule, le film d’Aronofsky lui tiendrait plus d’une version kafkaïenne des Chaussons Rouges du duo Powell/Presburger avec un soupçon de Suspiria. Un peu comme si Maurice Béjart et Freddy Krueger s’étaient rencontrés à la croisée d’un drôle de chemin ! Un mélange presque contre nature prodigué par un Aronofsky inspiré et laissant libre cours à ses exactions visuelles les plus jusqu’au-boutistes. Jeux de miroirs permanents, visions cauchemardesques et symboles à tous les étages… Black Swan a un petit air de L’échelle de Jacob, les deux films ayant en commun cette même exploration du trauma sous l’angle fantasmagorique. Car si le cinéaste semble montrer patte blanche (c’est le cas de le dire) au cours de séquences de danses d’une beauté transcendantale, c’est pour mieux distiller le malaise dès qu’il colle au plus près des névroses de Nina (Nathalie Portman). L’occasion pour lui de prêter allégeance à quelques références du genre avec la férocité d’un bouledogue dopé aux amphétamines ! Car aujourd’hui encore qui peut se vanter d’attirer les foules en citant David Cronenberg (la chair mutilée y occupe une place prépondérante) ou Todd Browning dont la fascination pour les outsiders et le sens du tragique contaminent dangereusement le film ? Au fur à mesure que la santé mentale de Nina se délite, le cadre se resserre, les corps se transforment et la musique nous transperce les oreilles pour mieux s’infiltrer dans notre cerveau déjà bien malmené.

 

Nathalie Portman dans Black Swan de Drarren Aronofsky
Nathalie Portman dans Black Swan de Drarren Aronofsky

 

Ceci étant, le film trouve parfois ses limites dans cette profusion d’éléments glauques ancrés dans un quotidien d’une terrible banalité. Seul maitre à bord de son singulier train fantôme, Aronofsky nous embarque dans un ride parfois éreintant à force de partir dans tous les sens ! D’où une impression de trop plein qui a cependant le mérite d’accentuer le malaise inhérent aux turpitudes de la fragile Nina, prise en sandwich entre une mère trop possessive et un chorégraphe ambigu. Scream queen d’un genre nouveau, à la fois victime et bourreau, plus portée sur l’introspection que sur le cri strident, Nathalie Portman s’investit corps et âme dans ce qui reste aujourd’hui son rôle le plus exigeant. Au point d’effacer totalement l’image de douce nymphe qui lui colle à la peau.

 

Mais ce qui interpelle surtout dans Black Swan c’est son incontestable cohérence avec les autres films d’Aronofsky. A l’image de Max (Pi), Harry (Requiem for a dream) ou encore Tommy (The Fountain), Nina est mue par une quête d’absolue qui l’entrainera dans les plus profonds abysses qu’ils soient mentaux et/ou physiques. A l’instar du catcheur de The Wrestler, le corps de Nina porte les stigmates d’une existence entièrement vouée à atteindre une certaine perfection. Un état qui ne se cristallisera qu’au cours d’une majestueuse séquence de danse finale. Morceau de bravoure d’une incroyable portée, elle fait magnifiquement écho aux aspirations de son personnage principal et inscrit définitivement le film dans une mouvance fantastique à cheval entre film d’horreur et conte cruel. En cela, on peut aisément affirmer que Black Swan file de sacrés frissons !

 

A partir d’un sujet plus proche du thriller psychologique que de la pure bobine horrifique, Aronofsky parvient à nous tétaniser en nous faisant passer par tout un spectre d’émotions que n’auraient pas reniés les plus grands maitres du genre.