Séance de rattrapage : critique True Grit

 

True Grit, un film de Joël et Ethan Coen. Avec Jeff Bridges, Hailee Steinfeld, Matt Damon. Sortie le 23 février 2011.

 

Les frères Coen font parler la poudre avec cette adaptation du célèbre roman de Charles Portis. Ça va faire mal!

 

Note : 4/5

 

Touches à tout du septième art, les frères Coen se sont toujours faits les chantres d’un certain éclectisme, irriguant chacune de leurs œuvres de cette ironie mordante qui les caractérise si bien. Première incursion de la terrible fratrie dans le sillon ultra balisé du western, True Grit ne détonne qu’en apparence dans une filmographie slalomant entre essais mineurs (Intolérable cruauté) et indéniables réussites (The Big Lebowski). Bonne nouvelle : leur film de pistoleros s’inscrit définitivement dans la seconde catégorie ! Contrairement aux apparences, True Grit n’est pas un remake de 100 dollars pour un shérif réalisé par Henry Hathaway en 1969 mais bien une adaptation du roman originel de Charles Portis.  Alors que le film d’Hathaway se focalisait davantage sur le personnage de Rooster interprété par John Wayne, celui des frères Cohen préfère jouer la carte de la fidélité pure et dure au roman en adoptant le point de vue de Mattie, jeune fille très dégourdie de 14 ans cherchant à venger le meurtre de son père. D’où une sorte de décalage que les croustillants échanges entre Mattie et son ange gardien (le bougon Rooster) viennent constamment appuyer. A la manière d’un conte sauvage, True Grit parle d’apprentissage de la vie à travers une série d’épreuves confrontant l’homme (au sens large du terme) à la nature. Un antagonisme sublimé par la très belle photo de Roger Deakins, chef op’ attitré des Coen, dont le travail sur les contrastes renforce le côté très « Alice au pays des merveilles » de l’ensemble.

 

 

Jeff Bridges dans True Grit de Joel et Ethan Coen

 

 

Depuis Sang pour Sang, on aura tôt fait d’attribuer à Joël et Ethan Coen un gout prononcé pour le nihilisme via des séquences d’une violence rare constamment contrebalancées par un humour à froid. Si elle n’est pas montrée ici de manière aussi frontale, cette violence des échanges en milieux non tempérés, n’en demeure pas moins latente. Mieux encore, elle nourrit le film jusqu’au morceau de bravoure final aussi abrupte que logique. Que ceux qui espèrent retrouver un body count aussi imposant que celui de No country for old men passent leur chemin : ici il est plus question de fantômes que de cadavres, ceux-ci se faisant le reflet d’un Ouest qui se meurt. Si l’anti sensationnalisme de True Grit et sa propension à dégainer les langues plutôt que la Winchester peuvent déconcerter c’est parce qu’il se réclame d’une autre approche du western invoquant moins les gunfights emblématiques d’un Peckinpah que le naturalisme de l’Assassinat de Jesse James. Cependant, si l’élégiaque requiem d’Andrew Dominik revisitait l’Ouest à travers l’un de ses plus célèbres mythes, les frères Coen préfèrent eux s’attacher à des figures plus pittoresques. A l’image de la série Deadwood, le film des frères Cohen privilégie la petite histoire à la grande et réinterroge cette dernière par le prisme de personnages atypiques, reliquats d’une société en pleine mutation à cheval entre tradition et modernité. A l’aune d’une nouvelle ère, les symboles ont la peau dure et se battent pour préserver leur tenace minéralité. Un étonnant mélange des genres qui évoquera aux plus gamers la subtile ampleur d’un Red Dead Redemption.


 

 

Matt Damon dans True Grit de Joel et Ethan Coen

 

True grit (traduire par « avoir du cran ») perdrait toutefois beaucoup de sa superbe sans son casting convoquant gueules cassés et visages angéliques. Dans la peau de l’intrépide Mattie, la jeune Hailee Steinfeld en impose et tient la dragée haute aux vétérans ponctuant sa quête vengeresse. A l’apparente pureté de son visage s’opposent un entêtement et un sens de la repartie à toute épreuve, stigmates à peine cachés d’une vie qui ne l’aura jamais épargné. A mi-chemin entre l’enfant et la jeune femme, elle raccroche d’emblée le spectateur à cette humanité semblant faire défaut à l’environnement qui l’entoure. Face à elle, l’impérial Jeff Bridges ne se laisse pas démonter en shérif à la gâchette facile. Acariâtre, têtu, râleur… le Rooster interprété par notre Dude préféré n’est pas un enfant de chœur mais tiendrait plus du fils de chacal bercé trop près du saloon ! Alors que tel personnage aurait pu vite sombrer dans la caricature, Bridges parvient à lui insuffler une densité incroyable via une plâtrée de démarches et autres regards autrement plus évocateurs que n’importe quelles autres figures imposées. Tour à tour tragique et drôle, pragmatique plus que philosophe, il représente une certaine idée de l’Amérique selon les frères Coen et mérité amplement sa place au panthéon des grands personnages coenien. Aux côtés de l’infernal binôme Bridges/Steinfeld, Matt Damon, loin de détonner, offre un efficace contrepoint en Texas Ranger orgueilleux. L’occasion pour Bridges et lui de se renvoyer régulièrement la balle lors d’échanges o combien jouissifs !

 

Fable initiatique au lyrisme rugueux, True Grit dégage une étonnante mélancolie inhérente au cinéma de ses géniteurs et touche par son étonnante facilité à dessiner des personnages forts. Chapeau bas et haut les flingues !