Séance de rattrapage : The Lobster

 

Un film de Yorgos Lanthimos. Avec Colin Farrell, Rachel Weisz, John C.Reilly. En salles depuis le 28 octobre 2015.

 

Colin Farrell méconnaissable dans cette oeuvre inclassable et dérangeante.

 

Note : 4/5

 
Mais qui est Yorgos Lanthimos? Le cinéaste grec a présenté son quatrième OFNI lors du dernier Festival de Cannes. On aurait parié le prix du scénario pour ce film disjoncté mais c’est finalement le Prix du Jury (comprenez « coup de cœur » accompagné d’encouragement pour la suite d’une carrière) qu’acquiert Lanthimos. Il faut dire que The Lobster est le genre de film qui vous marque, que vous l’appréciez ou non. Le scénario se veut futuriste et nous présente notre monde sous une facette obscure. Les humains se doivent de vivre par deux sur terre et quiconque est célibataire se voit arrêter et forcer de trouver l’âme-sœur dans un délai de quarante-cinq jours. Que se passe-t-il quand ce délai est écoulé? On fait choisir au dit humain en quel animal les médecins vont le transformer. « The Lobster » (l’écrevisse) symbolise donc l’animal choisi par David, le personnage de Colin Farell, en cas d’échec. Le titre aux abords ennuyants n’est pas représentatif du film: en effet, on assiste plutôt à une traque humaine où David combat sa destinée manifeste… D’écrevisse. Le but de chaque homme est de ne pas retourner à l’état sauvage, c’est-à-dire l’état animal. Colin Farrell permet pour ce rôle sa réputation de « sex-symbol » et prend un coup de vieux ainsi qu’une dizaine de kilos. Ces dernières années, l’acteur enchaînait les navets visuels et The Lobster transparaît comme une remise à niveau de son talent. À ces côtés, la charismatique Rachel Weisz incarne la femme dont il va tomber amoureux en s’enfuyant chez les Solitaires. Les Solitaires, ce sont ces résistants célibataires cachés dans les sous-bois. La troupe est menée par une Léa Seydoux glaciale, reine de la survie en milieu hostile. Les Solitaires refusent de vivre en couple et interdisent toute relation sentimentale entre les personnes. De nombreux critiques n’ont pas hésité à qualifier The Lobster de film d’épouvante plus que science-fiction ou drame. En effet, l’ambiance reprend les codes esthétiques du film d’épouvante: glauque, sombre, teinté d’humour noir. Lanthimos joue particulièrement avec ces codes lors des premières et dernières minutes du film où le spectateur est mis face à un indescriptible sentiment de mal-être et d’incompréhension. La violence du film est imagée mais reste le plus souvent verbale. Le réalisateur fait preuve d’un sadisme inouïe en montrant juste assez pour s’amuser avec les nerfs des spectateurs.

 

Haut et Court
Haut et Court

 

Les émotions du spectateur sont manipulées par d’intelligents jeux de montages comme lors de la scène avec le chien dans la salle de bain. Derrière tout ce sadisme se dévoile la critique d’une société conformiste où le paraître est roi. L’importance du couple et de la famille parfaite pour rentrer dans le moule de la normalité est vivement critiqué. Les personnes sont assorties par paires (ceux qui saignent du nez, ceux qui ont tel tic en commun) comme une évidence absolue. À l’Hôtel où sont logés les célibataires forcés à trouver l’amour, les employés se livrent à des jeux de rôles choquants entre réalisme et clichés. On y voit par exemple une femme seule qui se fait obligatoirement agressée tandis qu’avec un homme à ses côtés elle est en totale sécurité. L’humour extrêmement intelligent du film permet de mettre l’humain face à des réalités dérangeantes. Du type « Comme le couple va mal, on va leur coller un enfant pour que les liens se resserrent ». Certains ont vu à travers The Lobster, une image crue de l’humanité qui participe à ce sentiment d’horreur lors du visionnage du film. Les Solitaires sont forcés à rester seuls sinon ils sont torturés tandis que les célibataires sont forcés à se trouver un partenaire. Les deux côtés font violence aux hommes, les deux côtés animalisent les hommes.  La torture dans The Lobster est psychique (chasse à l’homme façon Hunger Games, jours comptés, etc) et physiques (infirmières qui poussent à bout les hommes en ravivant leurs désirs sexuels pour les pousser à trouver une femme). De nombreux plans confondent hommes et animaux pour nous rappeler l’indicible différence. La violence vient des hommes tandis que les animaux sont calmes.  Les scènes où David et la femme Solitaire crée leur propre langage de communication tout comme les chasses sanguinolentes (dépeçage du lapin, recette de cuisson dans la forêt) sont esthétiquement superbes. Cachés comme des bêtes sauvages en perpétuel traque, le seul but de David est de survivre.
 

Yorgos Lanthimos crée un film innovant et perturbant qui en déconcertera plus d’un . Vous avez le temps de réfléchir en quel animal vous serez transformés !