Critique : Alien Covenant

 
Un film de Ridley Scott. Avec Michael Fassbender, Katherine Waterston, Billy Crudup. Sortie le 10 mai 2017.

 

Ambitions artistiques et corporatistes sont-elles compatibles ? Voilà la question soulevée par Alien Covenant, film malade à bien des égards.

Note : 2,5/5

Alien Covenant est un film qui laisse perplexe. Ni totalement raté, ni réellement réussi, le nouveau film de Ridley Scott laisse un drôle de gout dans la bouche. A la fois suite de Prometheus et prequel d’Alien, il navigue constamment entre deux eaux, tantôt troubles, tantôt agitées, sans jamais se donner de réel ancrage. En tant que suite de Prometheus, Alien Covenant fait plutôt bien le job : il creuse davantage les thématiques de son ainé, joue constamment la carte de l’ambiguïté et distille un malaise certain à travers le personnage de Michael Fassbender (ici dans un double rôle ultra symbolique) d’une dualité terrifiante. En bon esthète funèbre qu’il est, Ridley Scott fait de l’espace un enfer à ciel ouvert où vie et mort sont inextricablement liées comme composantes ultimes et forcément interconnectées. On reconnait bien là la patte du réalisateur d’Alien, plus féroce que jamais. La direction artistique est à tomber par terre, les thématiques sur la filiation et la création, diluées dans une esthétique très gigeriennes sont fascinantes et l’ambigüité distillée au compte-goutte tel un doux venin fait son petit effet, mais… Toute pièce ayant son revers on reprochera toutefois à ce « Prometheus 2 » une propension à répéter les mêmes erreurs narratives que son ainé et surtout s’appuyer de manière beaucoup trop lourde sur une symbolique bien mal exploitée et se bornant à la citation bête et méchante. Plus que louable dans son intention de donner à son « Alien begins » des résonances bibliques et poétiques (« Le Paradis Perdu » de Milton est cité à outrance et de manière totalement contre-productive), cette ambition est totalement étouffée par la volonté de raccrocher les wagons avec la saga Alien de manière à créer une nouvelle franchise SF. D’où l’impression de se retrouver devant un film bicéphale, une sorte de « Janus cinématographique » dans lequel chaque visage tente de tuer l’autre pour survire, un peu à l’image des deux androïdes du film. De là à dire qu’Alien Covenant est un film ultra méta qui se répond constamment à lui-même via une pleine conscience de son caractère ambivalent, il y a un grand pas (quelque peu capillotracté certes) que nous serions bien tenté de franchir. Et c’est exactement là où se situent les limites du film : si la suite de Prometheus se révèle aussi perfectible que fascinante de par les thèmes qu’elle brasse, la prequel d’Alien, elle, ne présente que très peu d’intérêt. En effet, « Alien 0 » – autant appeler un chat un chat-, joue, lui, la carte du fan service à outrance, se complait dans une absence totale de prise de risques en donnant exactement au spectateur ce qu’il veut (tu veux du xénomorphe et bien tu vas en bouffer !) quitte à abandonner totalement cette temporalité fatale qui faisait aussi le sel d’Alien premier du nom.

 

20th Century Fox

 

Parfaitement conscient qu’il n’a dès lors plus rien à raconter, Scott se complait alors dans le cynisme le plus absolu, s’autocite constamment, tourne en rond pour finir par se rattraper dans un final dont le caractère éminemment cruel et opératique aura été totalement annihilé par le patchwork en mode « maxi best of alien » servi précédemment. Résolu à se répéter plutôt qu’à se transcender, Scott pilote son vaisseau à vue avec talent certes mais sans passion si bien qu’on se demande s’il n’a pas décidé sciemment de ne jamais exploiter la dynamique de groupe présente au sein de l’équipage du Covenant (uniquement composé de couples il y avait de quoi broder d’intéressants antagonismes). Si bien que ladite cruauté dont il se fait le chantre se voit dépouillée de tout sens tant le manque d’empathie ou même d’antipathie pour les personnages est flagrant. Et c’est bien dommage car aussi bien dans sa partie « Prometheus 2 » qu’« Alien 0 », Alien Covenant esquisse des pistes intéressantes, fait de belles tentatives, mais celles-ci sont constamment tuées dans l’œuf par une narration foutraque minée de l’intérieur par une production trop soucieuse de franchiser son xénomorphe aux œufs d’or. Dès lors difficile d’aimer ou de totalement rejeter ce qui apparait comme une œuvre malade prise en sandwich entre tentative d’explorer une mythologie et volonté d’étendre un univers quitte à s’aliéner (attention blague !) une partie de fans tout en captant d’autres. Si l’ambition de donner à la saga d’Alien des résonances plus amples est aussi intrigante que culottée et casse-gueule elle met en exergue ce risque devenu une vérité à Hollywood qui veut que toute opération de démythification entraine nécessairement l’annihilation de toute subjectivité chez le spectateur. Traduction : ne vous donnez plus la peine d’imaginer on le fait à votre place… soit l’antithèse de ce qu’était Alien premier du nom !
 

Ni vraiment réussi, ni totalement raté, Alien Covenant est une œuvre étrange aussi belle visuellement que narrativement foutraque, pétrie de belles idées et de bonnes intentions, souvent sacrifiées sur l’autel de l’opportunisme. Dommage.

 

 
 
Et pour ceux qui souhaiteraient creuser la question, je vous invite à retrouver ci-dessous, le dernier numéro du Festival des Bons Films auquel Cinevibe a participé et qui, à travers Alien Covenant, pose la question suivante : existe-t-il un cinéma d’auteur à plus de 100 millions de dollars ?