Critique : Délivre-nous du Mal

 

Un film de Scott Derrickson. Avec Eric Bana, Edgar Ramirez, Olivia Munn. Sortie le 3 septembre 2014.

 

Le réalisateur de L’exorcisme d’Emily Rose revient à ses premiers amours et accouche d’une œuvre efficace mais encore trop hésitante.

 

Note : 2,5/5

 

L’été vient à peine de débuter qu’on pense déjà aux films qui vous attendent pour la rentrée. Lorsque vous aurez fini de barboter dans l’eau et avant de retrouver vos chers collègues de bureau, nous vous invitons donc à faire un petit tour à New York, Babylone moderne dans laquelle l’inspecteur Ralph Sarchie (Eric Bana) tente de faire respecter l’ordre et de ne pas perdre la tête devant les horreurs quotidiennes dont il est le témoin. C’est dans ce climat d’Apocalypse imminente que cet ancien catholique ayant perdu la foi va se lancer à la poursuite d’un tueur en série qui pourrait ne pas être totalement humain. Neuf ans après L’exorcisme d’Emily Rose, ronflant mélange entre procedural et film d’exorcisme, Scott Derrickson revient au genre qui l’avait révélé et fait le plein de méchants démons, possessions tonitruantes et autres prêtres de choc le tout sous appellation « Adapté d’une histoire vraie ». Rien de nouveau donc au sein de la chapelle derricksonienne ? Oui et non. Car si L’exorcisme d’Emily Rose et Le jour où la Terre s’arrêta version 2008 sont des ratages certains, ils ont toutefois permis au réalisateur de faire étalage d’un savoir faire technique certain, un style reconnaissable entre cent et qui a trouvé sa pleine expression dans le surprenant Sinister il y a deux ans. Si ce dernier apparait clairement comme une parenthèse au sein d’une filmographie placée sous le signe du Sacré, il demeure la preuve flagrante que le monsieur peut aisément mettre en sourdine ses velléités moralisatrices au profit du récit. Délivre-nous du Mal est donc à prendre pour ce qu’il est : un retour aux sources pour Derrickson, visiblement très content de jouer les prêcheurs cinématographiques. On retrouve donc ici – et assené au marteau piqueur- le même message sur la nécessité de la foi, cette fois par le prisme de la relation entre Sarchie et Mendoza (Edgar Ramirez), prêtre peu conventionnel au passé trouble. A l’image de ce dernier, Délivre-nous du mal joue la carte de la modernité pour procéder à son travail d’évangélisation et opte pour une approche très blockbusterisante (shaky cam, orchestrations assourdissantes…) du film d’exorcisme tout en convoquant les multiples poncifs inhérents au genre.

 

© Sony Pictures
© Sony Pictures

 

Et le pire c’est que ça marche : pendant près d’une heure, le film parvient à nous embarquer dans cette enquête au cœur des ténèbres et se révèle fort efficace malgré la profusion d’effets attendus. En dépit de ses multiples effets de manche, Délivre-nous du Mal témoigne d’un savoir faire certain notamment dans son esthétique et son ambiance. Il faut dire que le cinéaste ne recule devant rien pour accrocher le spectateur, transformant ce qui s’annonçait comme un énième film de possession en shocker hard boiled buriné un peu comme si son cinéma rencontrait durant un court laps de temps celui de David Ayer. Bon ok, le look de Joel McHale (Community) en sidekick dopé à l’adrénaline y est pour beaucoup pour peu que l’on oublie son personnage de trublion télévisuel qui l’a fait connaitre. Dommage toutefois que l’illusion se révèle de courte durée. Passé les quelques démonstrations de force disséminés ici et là, le film semble n’avoir plus grand-chose à raconter et tourne méchamment en rond, se perdant dans un discours très prêchi prêcha sur la rédemption et le caractère blasphématoire de la discographie des Doors ! Amusant si cela avait été traité avec un minimum de second degré, ce serait vite oublier que cette notion est définitivement absente du champ lexical du cinéaste qui, dans ces moments de sérieux papal, creuse un sillon très nanar. Et Délivre-nous du Mal d’abandonner donc ses quelques intéressantes pistes notamment sur la nature contagieuse du mal (déjà exploré avec beaucoup plus de finesse dans Sinister) pour mieux s’enliser dans les méandres du nanar religieux à base de messages à portée universelle et padre se transformant en « Julio Iglesias froqué » pour pratiquer les exorcismes. Dès lors, on en vient même à regretter Le témoin du mal qui, malgré ses défauts, faisait preuve d’une ironie mordante et dont Délivre nous du Mal pourrait représenter le pendant pontifié. Restent un morceau de bravoure final d’une redoutable efficacité et deux personnages principaux très convaincants. C’est pas mal mais trop peu pour nous convaincre totalement que le futur réalisateur de Doctor Strange saura un jour s’extirper d’un certain giron religieux.

 

Sombre et souvent désespéré, Délivre-nous du Mal aurait pu être une excellente série B s’il avait été moins dilué dans son discours moralisateur et limite réac. Dommage.