Un film de Quentin Tarantino. Avec Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo Di Caprio. Sortie le 16 janvier 2013.
Tarantino redonne au western ses lettres de noblesses et nous embarque pour une virée sauvage pleine de sang et de mots. A cheval !
Note : 4/5
Western et post modernisme font ils bon ménage ? Une question existentielle (que nous nous sommes tous posés au moins une fois dans notre vie) à laquelle Django Unchained répond par un oui franc et massif ! Pour autant, le nouveau film de Quentin Tarantino ne joue pas tant la carte iconoclaste que ça, et prête davantage allégeance au genre qu’il explore que le mal aimé Inglorious Basterds. Prince du melting pop cinématographique déclinant à sa sauce les sous genres les plus emblématiques de la série B, Tarantino parvient de nouveau à mélanger deux tendances à priori antagonistes (le western et la blaxpolitation) pour mieux accoucher d’un objet singulier auquel il est impossible d’apposer une étiquette. Ne vous méprenez pas : en dépit de ses multiples références et de sa bande son empruntant à divers courants musicaux (et sur lequel nous reviendrons plus tard), Django Unchained reste un pur western dans la grande tradition du genre. Du générique d’ouverture à la typo et au thème musical hautement évocateurs, aux très symboliques valeurs de plans, Django Unchained transpire l’amour pour le western rital avec une nouveauté de taille : un héros… black ! En gros : imaginez le chainon manquant entre le cinéma de Bud Boetticher (ou Sergio Corbucci si on s’en tient stricto sensu aux références assumées de QT) et celui de John Singleton. Un mariage malheureux pour ceux qui ont encore en tête un certain Posse : la revanche de Jessie Lee. Sauf que Tarantino, en dépit de son coté fan boy toujours pas assagi, fait preuve de suffisamment de distance avec son sujet pour éviter une éventuelle comparaison avec le funeste et trop sérieux film de Mario Van Peebles.

Plus qu’un démarquage « spaghetti » de Kill Bill, ce Django là se distingue par une certaine maturité visuelle qui n’occulte pas, bien heureusement, un esprit doux dingue véhiculé par une brochette de personnages aux tonalités aussi différentes que complémentaires. Rapidement, Django Unchained s’affranchit de ses oripeaux d’objet post moderne pour se muer en pur film d’acteurs où ce n’est pas tant la corrosivité du dialogue qui prime que la manière dont il est exprimé. Une fois de plus, c’est Christoph Waltz qui tire son épingle du jeu en maitre à penser du colt au flegme typiquement européen. Monstre de charisme à l’élégance racé, le comédien apporte au film cette touche de classe supplémentaire. A ses cotés, Jamie Foxx ne dépareille pas et fait office d’excellente caution « cool ». Et même si on peut regretter l’abandon de Will Smith (choix autrement plus couillu et raccord avec les velléités iconoclastes de l’ami Quentin), force est de reconnaître que l’ex interprète de Ray incarne un Django très convaincant, tour à tour grande gueule et romantique. Alors oui Jamie fait du Foxx mais sa désinvolture apparaît tellement raccord avec son personnage de Black Panther au colt d’argent qu’on lui pardonnera aisément de toujours jouer sur le même registre. Son duo avec Waltz fonctionnant sur une relation de respect et de fascination commune marche à plein tube et atteint son climax lors d’une seconde partie jouant adroitement sur les effets de miroir à travers l’introduction du « couple » Leonardo Di Caprio/Samuel L. Jackson comme parfaits antagonistes. Etonnant en odieux propriétaire terrien aussi charismatique que dangereux, Di Caprio confère à son personnage de dandy machiavélique entretenant un rapport ambivalent avec les noirs, une épaisseur inattendue tranchant radicalement avec le reste de sa filmographie. Mais la palme revient indubitablement à Samuel L. Jackson absolument génial dans la peau d’un Uncle Ben’s haïssable à souhait, sorte d’éminence grise aussi calculateur que servile. Autant dire qu’avec lui l’image du gentil Oncle Tom en prend pour son grade !

Verbeux certes mais toujours dans le bon sens du terme , Django Unchained se veut aussi le miroir d’une certaine Amérique croquée ici avec un étonnant mélange d’humour et de fureur. Aussi enragé qu’un émule de Malcolm X lâché en pleine réunion de confédérés, Tarantino n’y va pas avec le dos de la cuillère et décrit un Ouest raciste et puant entièrement voué à la cause du quaker bas de plafond. L’occasion pour le réalisateur de Pulp Fiction de se réapproprier tout un pan de la culture black tant d’un point de vue cinématographique (Django Unchained tient au autant de son homonyme rital que de Shaft !) que musical. Et pour ceux qui se poseraient la question de la légitimité de Tarantino en la matière nous ne saurions trop vous conseiller de (re)voir Jackie Brown dont ce Django est le pendant décomplexé. C’est aussi l’occasion de voir que le cinéaste a retrouvé son oreille musicale via un bande son tonitruante mélangeant allégrement une multitude de sonorités différentes allant du rap vener’ à la balade mélancolique en passant par des accords morriconiens. Un mélange que d’aucuns qualifieraient de malheureux mais qui s’avère ici hautement jouissif et conférant une sacré ampleur à certaines séquences. Et tant pis si ce n’est pas toujours bien équilibré, on a de nouveau envie d’acheter la BO d’un film de Tarantino. Et ça, m’sieurs dames c’est pas rien !
L’équilibre justement est l’un des autres atouts de ce Django qui, s’il aurait eu bien besoin d’être un poil resserré, n’en demeure pas moins dense et bien rythmé là où Inglorious Basterds péchait par une espèce de tâtonnement parfois lassant. Certes, la durée peut se révéler rédhibitoire (surtout avec une intrigue aussi mince) mais le film est traversé d’une telle multitude de moments anthologiques qu’on ne voit presque pas le temps passer. Mais surtout ce que l’on retiendra de ce Django, c’est le plaisir hautement communicatif que prend Tarantino à reprendre la caméra. Quentin s’amuse et nous avec. D’où l’impression de partir pour une ballade totalement folle et pleine de punch en compagnie d’un cinéaste enfin débarrassé de ses oripeaux d’artiste en quête de reconnaissance. A l’instar de Kill Bill et contrairement à Inglorious Basterds, Django Unchained s’amuse avec le cinéma et non pas avec l’Histoire. QT a revu ses ambitions à la baisse mais nullement sa passion qui atteint là un autre stade, comme s’il assumait pleinement son statut de faiseur de séries B à l’univers éminemment personnel. Autant d’arguments qui font de Django Unchained un grand Tarantino tour à tour bavard, violent, drôle mais surtout très généreux ! On croyait avoir perdu le cinéaste dans les limbes d’un cinéma bavard et au trop autocentré, on le retrouve ici plus en forme que jamais, prêt à en découdre avec les détracteurs de tous bord. Quentin Unchained !
Tarantino renait de ses cendres et renoue avec ce qui avait fait de lui un grand. Imparfait mais tellement jouissif !