Critique : Drive

 

Un film de Nicolas Winding Refn. Avec Ryan Gosling, Carey Mulligan et Bryan Cranston. Sortie le 5 octobre 2011.

 

Nicolas Winding Refn et Ryan Gosling nous embarquent dans une virée aérienne et atmosphérique. Ca fleure bon le film culte !

 

Note : 4,5/5

 

Avant même sa présentation à Cannes, Drive suscitait déjà une attente énorme. Imaginez un peu : le réalisateur de Valhalla Rising et Bronson (pour ne citer qu’eux), uppercuts filmiques au haut pouvoir de déflagration, dirigeant l’ultra charismatique Ryan Gosling dans une série B qu’on savait déjà marquée par le sceau de la violence et de la fureur inhérent à son géniteur. Les premières images n’avaient pas encore filtrées qu’on sentait déjà notre épiderme se dresser devant le nouveau bolide de Nicolas Winding Refn. Quelques mois plus tard, le couperet tombe : Drive est une petite bombe, de celles qui vous laissent rêveur à la sortie non pas par sa violence sèche et nerveuse mais parce qu’elle dégage une poésie incandescente, comme si quatre dix minutes durant nous étions transportés dans une autre réalité, sorte de firmament cinématographique dont on n’ose repartir ! Pas sûr toutefois que ce sentiment, somme toute aérien, soit partagé par tous. En effet, aussi excellent soit-il Drive pourrait être victime de son énorme buzz engrangé à grands renforts de superlatifs en tous genre. Car si le film témoigne d’une violence sourde qui explosera lors d’une seconde partie époustouflante, il reste avant tout anti-spectaculaire et épuré jusque dans la moindre fibre de sa carlingue.  A l’image de tout chef d’œuvre qui se respecte (ce qui est le cas ici), Drive prend le temps d’infuser pour finalement faire éclater sa puissance au détour de séquences préalablement pénétrées dans notre inconscient cinéphilique pour ne plus nous quitter.  Ce qui semble abscons sur le papier apparaît d’une limpidité cristalline dès lors que l’entêtante séquence inaugurale se rappelle à notre bon souvenir. Dès lors impossible de parler de frustration mais de « plaisir à long cours », grisant, enivrant, en un mot… obsédant !

 

© Le Pacte

 

Autant le dire tout de suite Drive c’est avant tout une ambiance, une atmosphère où néons et voitures parcourant la cité des anges s’entremêlent au point d’aveugler le spectateur soudain en apesanteur. C’est la douce harmonie qui le berce au rythme des lancinants Nightcall et Under Your Spell. Cette B.O. obsédante qui hante le cinéphile/mélomane jusqu’à rester fermement ancré dans son cortex cérébral, est pour beaucoup dans la réussite de ce trip aux multiples influences. A ce stade là, on ne parle plus d’osmose mais de fusion. Film noir au ton résolument pop convoquant tout un pan du cinéma d’exploitation, Drive repose sur une identité très vintage traduite par ses subtiles teintes de couleurs et une approche de la mise en scène plus posée, au plus près des visages. On pense dès lors autant au William Friedkin de Police Fédéral Los Angeles qu’à Michael Mann période Manhunter (les exactions graphiques en moins) tant il y a cette même réflexion sur la place de l’homme au centre de la violence et d’une existence irriguée par celle-ci. Et si Drive prône le retour vers le passé, il demeure toutefois d’une douce intemporalité, ne portant jamais les stigmates d’une quelconque époque. Triste tout en étant solaire à sa manière, le film de Refn dégage une profonde mélancolie que le regard azur de Ryan Gosling retranscrit avec la plus pure minéralité jusqu’à se confondre quasiment avec l’évanescence de Carey Mulligan. Nous prenant par la main, ces deux là nous embarquent avec douceur dans une virée lyrique au pays des icones déchues et de l’innocence perdue. Dès lors, Drive se rapproche un peu plus de notre cœur et, l’air de rien, nous fait tutoyer les étoiles !

 

 

© Le Pacte

 

Dans le rôle de ce chauffeur peu loquace mais au regard terriblement expressif, Ryan Gosling impressionne de par sa retenue. Icône pop malgré lui, il incarne une sorte de chevalier dont la discrétion absolue n’est pas sans rappeler Le Samouraï de Melville. Il y a chez son personnage, une pudeur, une détresse intérieure qui confine au sublime et le propulse d’emblée au panthéon des grands héros (ordinaires) de cinéma. A ses cotés gravitent une galerie de portraits tous plus magnifiques les uns que les autres, de la belle Carey Mulligan au détestable Ron Perlman chacun incarne une figure imposées au fêlures terriblement humaines  mais jamais archétypales, preuve supplémentaire que Drive ne se confine jamais aux simples apparences et préfère fonctionner par strates. Mention spéciale à l’immense Bryan Cranston qui trouve là son plus beau rôle en mentor protecteur. A l’image du métrage, il témoigne d’une classe et d’une pudeur incroyables. Des persos comme ça on en fait plus et c’est tout à l’honneur de Refn qui, en optant pour l’apparent classicisme, signe son film le plus accessible mais pas forcément le plus commercial. Quand on vous disait que Drive avait tout du tour de force !

 

Accessible à condition de se laisser porter par son ambiance à la fois dure et poétique, Drive fait partie de ces balades sauvagement belles auxquelles il est difficile de résister.