Critique : Glass

 
Un film de M.Night Shyamalan. Avec Bruce Willis, Samuel L.Jackson et James McAvoy. Sortie le 16 janvier 2018.
 
M.Night Shyamalan nous replonge dans l’univers d’Incassable presque vingt ans près le film matriciel. Coup de maitre ou coup de bluff ?

 

Note : 3/5

 
Dix-neuf ans… c’est le temps qu’il aura fallu à M.Night Shyamalan pour nous offrir enfin une suite à son chef d’œuvre, Incassable. Entre temps, la carrière du cinéaste sera passé par les pentes les plus sinueuses marquant une rupture nette après un Village aussi anxiogène que fascinant. Difficile en effet de reconnaitre dans les ratages que sont La jeune fille de l’eau, Phénomènes, Le dernier maitre de l’air ou encore After Earth la patte du jeune prodige auto-proclamé fils spirituel d’Hithcock et Spielberg. Et si The Visit était un plaisant – quoiqu’un peu vain- exercice de style, il faudra attendre Split en 2017 pour que le cinéaste reprenne enfin du poil de la bête. Avec cette histoire de psychopathe aux multiples personnalités, Shyamalan explorait un versant encore plus sombre de sa filmographie tout en développant l’un de ses plus célèbres univers. Bingo ! Non content d’être une réussite artistique, Split permet au réalisateur de renouer avec le succès en engrangeant pas moins de 130 millions de dollars au box-office US. Ajoutez à cela un malicieux clin d’œil à Incassable en guise de plan final, il n’en fallait pas plus pour faire monter la sauce et justifier la mise en place d’une suite. Nous voici donc dix-neuf ans après les événements d’Incassable : tandis qu’Elijah Price (Samuel L. Jackson) croupit dans un asile psychiatrique, David Dunn (Bruce Willis) embrasse pleinement son statut de super-héros en jouant les justiciers costumés aidé de son fiston (Spencer Treat Clark). Pendant ce temps, Kevin (James McAvoy) continue de kidnapper de jeunes filles pour nourrir sa monstrueuse personnalité. Ce que le dernier plan de Split laissait supposer arrive alors : David et Kevin s’affrontent avec pertes et fracas…avant d’être arrêtés et de rejoindre Elijah. La réunion des trois promet d’être dantesque ! Voilà pour le pitch de Glass qui sonne autant comme une suite à Split que comme un nouveau chapitre des aventures de David Dunn. Autant le dire de facto : Glass est un film qui laisse circonspect. Non pas qu’il soit mauvais, loin de là, à défaut d’être le meilleur film de Shyamalan, il s’agit de l’un de ses plus sincères avec tout ce que cela implique de bons et de mauvais côtés. En fait, si Glass ne suscite pas une excitation à la hauteur de ses belles promesses c’est parce que justement il met un point d’honneur à aller à contre-courant de la majorité de celles-ci. Moins film de super-héros qu’étude sur la place de la déification dans la société actuelle, Glass creuse le sillon de son illustre ainé, Incassable, tout en essayant tant bien que mal de l’ancrer dans une réalité qui a bien changé depuis le tout début des années 2000.
 

The Walt Disney Company France

 

Un changement de paradigme que Shyamalan semble avoir du mal à intégrer, comme s’il était réfractaire au temps qui a passé (et qui ne lui a pas été toujours clément), préférant enfermer son intrigue et ses protagonistes dans une sorte de bulle temporelle. Mais c’est bien sur le terrain de la théorie que le film se révèle frustrant dans la mesure où Shyamalan s’y complait ouvertement au détriment parfois de l’action. Et si le film dresse de passionnantes thématiques, celles-ci se voient servies à la truelle par un Shyamalan qui, trop confiant en sa propre intelligence et pas assez en celle du spectateur, surligne grossièrement son propos en paraphrasant constamment l’action qui se déroule devant nos yeux. Et le film de dérouler parfois laborieusement ses arguments telle une thèse d’étudiant indigeste à force de surligner ses arguments en caractères gras police 44. Une tendance au didactisme qui vire à l’insupportable lors d’une seconde partie en forme d’explication de texte. Là où Incassable se contentait d’un regard, de silences lourds de sens, Glass utilise les gros sabots en verbalisant à outrance. Et pourtant, aussi perfectible et maladroit soit-il, Glass n’en demeure pas moins fascinant dans sa propension à contrecarrer tous les pronostics. A l’image du Village qui aura aussi laissé à sa sortie un gout doux-amer, le film joue constamment la carte de l’anti-spectaculaire, emprunte des versants inattendus, s’égare, pour mieux toucher à l’intime. Ainsi, les trajectoires de David, Kevin ou Elijah apparaissent plus prégnantes que le Deus Ex Machina futile qui les aura réunis. D’une rare sobriété, Bruce Willis et Samuel L. Jackson traversent le film de manière spectrale mais cohérente, leur désenchantement face à un société qui ne veut pas croire en eux faisant judicieusement écho au bouillonnement d’un James McAvoy délectable s’amusant comme un petit fou et dont la relation avec son antagoniste de Split gagne en profondeur pour atteindre un versant inattendu. Cette démarche qui vise à aller au plus près de ses protagonistes pour tendre vers une forme d’universalisme inattendu fait de Glass un objet étrange, où l’élégance et la pudeur de la forme se heurte à un fond sur signifiant. Si l’on devait définir Glass, on pourrait y voir une forme d’éloge au paradoxe, un film qui prône la démythification pour mieux iconiser, déconstruit pour mieux reconstruire. D’où cette étrange impression à la sortie de la salle de ne pas trop savoir si on a assisté à un comic book movie aussi fascinant que maladroit ou à l’arnaque du siècle. Shyamalan déconcerte et c’est tant mieux dans un sens, on aurait juste aimé qu’il le fasse avec plus de subtilité.

 

Aussi passionnant que frustrant, Glass pêche par un didactisme parfois insupportable. Restent une mise en scène élégante et des comédiens d’une rare sobriété.