Critique : Jupiter Ascending

 

Un film d’Andy et Lana Wachowski. Avec Channing Tatum, Mila Kunis, Eddie Redmayne. En salles depuis le 4 février 2015.

 

Les frères Wachowski s’éclatent et nous éclatent dans ce voyage spatial complétement autre qui invite le spectateur à baisser toutes ses défenses. Pari réussi ?

 

Note : 3,5/5

 

A l’heure où vous lirez ces lignes, une majorité d’entre eux vous aura déjà vu Jupiter Ascending. Une majorité certainement divisée entre ceux qui adorent et ceux qui détestent. Comme souvent chez les Wachowski, Jupiter Ascending n’appelle pas à la demi mesure tant au niveau de ce qu’ils offrent au public qu’à la façon dont ce dernier le reçoit. Ici on a plutôt tendance à être pro Wachowski et ce depuis le sulfureux Bound, maitre étalon malheureusement jamais égalé (ni même copié) du polar érotique. Matrix ? Une date clé dans l’histoire de la S.F. Ses suites ? Allez avec un peu de mauvaise foi on parlera d’œuvres incomprises. Speed Racer ? Un modèle de démesure visuelle, la jonction parfaite entre les univers cinématographique et vidéo ludiques, un trip acidulé parfaitement maitrisé et d’une générosité sans failles. Cloud Atlas ? Un grand film, audacieux, démesuré, incompris, beau à pleurer même lorsqu’il fait preuve de maladresse (Halle Berry en mode Klingon !). Jupiter Ascending c’est un peu la synthèse de tout cela : une aventure S.F. totalement folle, démesurée, multipliant les audaces visuelles pour offrir au public un pur ride mais en même temps pétri d’un certain nombre d’écueils (ou défauts selon le point de vue) inhérent. Une sorte de porte d’entrée au cinéma des Wachowski en somme. Thématiquement, le film vulgarise Matrix en reprenant ses principaux axes de pensée (le rapport à la réalité, la marchandisation de l’être humain, la fascination pour un monde parallèle à la fois si loin et si proche de nous), tout en renouant avec le ludisme visuel de Speed Racer. Car non, Jupiter Ascending n’est pas un film adulte, chiant, pompeux… c’est un retour dans le passé. Un voyage défiant les lois spatiales et temporelles dans lequel le spectateur retrouvera ses émois cinématographiques de môme de dix ans. Jupiter Ascending n’est pas destiné à toi spectateur blasé mais au gamin qui est en toi, celui qui pouvait passer des heures à examiner les rayonnages de son vidéo club à la recherche de l’expérience ultime, celle qui l’invitera à s’émerveiller, à rire devant des gags couillons, à littéralement prendre son pied devant des batailles spatiales, bref celle qui le confortera dans son jeune âge. A l’image d’un certain Speed Racer, le nouveau film des frères Wachowski est une cure de jouvence, une œuvre tellement généreuse et sincère qu’elle en devient forcément attachante même quand elle affiche ses pires travers. Pour l’apprécier à sa juste valeur, il faut faire sienne la philosophie des Wachowski, accepter que leur cinéma est imparfait, parfois maladroit, souvent tendre mais contrebalancé par une telle démesure qu’on ne peut être qu’émerveillé. Mais surtout, Jupiter Ascending ne fonctionne qu’à partir du moment où l’on accepte que ce n’est pas une œuvre « sérieuse » mais un fourre tout culturel ( la rencontre improbable entre Charles Perrault et la Cannon, Disney et Star Trek…) et cinématographique. Le genre de grand écart qui aurait brisé les jambes de n’importe quel yes man lambda, à la différence près que les Wachowski ont l’intelligence d’insuffler à tout ça une bonne grosse de second degré que n’éclipse jamais leur propension à en mettre plein la vue au public.

 

© Warner Bros France
© Warner Bros France

 

Reste que si le film demeure un vrai plaisir (coupable pour certains, totalement assumé pour d’autres), il gagne en démesure et en coolitude ce qu’il perd en rigueur narrative. Parfaitement conscients d’accoucher d’un one shot proprement suicidaire (au vu du résultat totalement bigarré on imagine que Warner a du rire jaune) parfaitement invendable en l’état, les Wachowski ont joué les kamikazes jusqu’au bout en ramassant leurs enjeux dramatiques, les épurant au maximum pour finalement jouer sur ce plan d’un certain dilettantisme qui ne leur sied guère. On ne sait pas trop si la fratrie tient tant à raconter une histoire qu’à offrir une expérience, une sorte de conte capitalisant davantage sur l’implication émotionnelle, physique de celui qui raconte et de celui A QUI on raconte que sur le contenu même de l’histoire. Alors oui, certains maquillages font penser à un épisode raté de Dr Who, quelques blagues tombent à plat et la cabotinage d’Eddie Redmayne fait penser à la prestation de Frank Langella en Skeletor dans Les Maitres de l’Univers, oui certains dialogues sont proprement risibles mais… D’un comme évoqué précédemment, l’ensemble fait preuve d’une telle décomplexions qu’il serait dommage de prendre tout cela au premier degré, de deux à Jupiter Ascending sont fait exactement les mêmes reproches qu’à des pépites comme Howard le canard, Flash Gordon et consorts… des œuvres à qui l’on dresse aujourd’hui un culte pour leurs contours kitsch, ce mauvais gout que l’on trouve désormais attachant mais que trente ans en arrière tout le monde conspuait. Cela pris en compte, difficile de ne pas trouver en Jupiter Ascending un charme suranné d’autant plus estimable que contrairement à ses modèles avoués, le film est visuellement époustouflant, déroulant un univers d’une richesse rare qu’il s’agisse de son incroyable bestiaire ou de ses décors à tomber par terre. A cela s’ajoutent des scènes d’action proprement renversantes, véritable invitation pour les enfants à se réapproprier les scènes. Pour une fois, la mise sur le marché de produits dérivés à base de figurines et de vaisseaux spatiaux aurait fait sens tant il aurait été cohérent avec la logique de « voyage dans le temps » dont le film se fait l’écho. Les voies du marketing sont décidément impénétrables.  Pour conclure, on pourra dire que Jupiter Ascending c’est un peu le carrefour où se retrouvent foules d’univers aussi différents que complémentaire, le seul capable de réconcilier la candeur de la première trilogie historique Star Wars et celles des nanars S.F. ayant bercé notre enfance. C’est avec tous ces pans de notre jeunesse que le film nous invite à renouer. En un mot comme en cent, on pourrait dire que Jupiter Ascending est un peu le Megaforce des années 2010 mâtiné d’un soupçon de Buckaroo Bonzai. Le chainon manquant et pourtant parfaitement logique entre Roger Corman et Georges Lucas. Un OFNI totalement improbable et donc d’autant plus précieux. Ça sent le futur retournement de veste des détracteurs !

 

 

Plus convaincant dans son coté régressif que réflexif, Jupiter Ascending est un condensé de ce que les Wachowski ont apporté et digéré de mieux ET de pire dans le cinéma S.F. Un curieux mélange qui le place à part dans l’histoire de la série B. Et c’est tant mieux !