Critique : La Forme de l’eau

 
Un film de Guillermo Del Toro. Avec Sally Hawkins, Michael Shannon et Doug Jones. Sortie le 21 février 2018.
 
Une très belle ode à la différence un chouia trop révérencieuse.
 

Note : 3,5/5

 
Lion d’or à la dernière Mostra de Venise et grand favori des Oscars avec le formidable 3 Bilboards, La Forme de l’eau a toutes les cartes en main pour être le nouveau coup de cœur critique et public de ce deuxième mois de l’année 2018. Trois ans après Crimson Peak, Guillermo Del Toro nous embarque pour une nouvelle romance fantastique en racontant l’étrange relation qui va se nouer entre Elisa (formidable Sally Hawking) jeune fille sourde travaillant comme femme de ménage dans un laboratoire top secret et une créature marine, le tout sur fond de Guerre Froide dans l’Amérique du début des années 60. Si l’on voulait jouer la carte de la simplification on pourrait dire que La Forme de l’eau sonne comme un drôle de mix entre Le Pont des espions et La Belle et la Bête. Mais réduire le métrage de Del Toro à un mash-up à priori antinomique serait une erreur tant il fonctionne à bien d’autres niveaux. De La Forme de l’eau on retiendra qu’il s’agit avant tout d’une histoire d’amour dont l’originalité ne réside pas tant dans le caractère « incongru » de ses deux protagonistes mais dans son incarnation, à savoir une histoire d’amour qui se passe de paroles puisque les deux amants en sont totalement dépourvus. Le langage des corps se substitue ainsi à celui des mots dans d’étranges ballets comme autant de saynètes. Un peu à la manière d’un Michel Hazanavacius avec The Artist, Del Toro se sert de ce ressort dramatique comme prétexte pour clamer tout son amour au cinéma muet et à l’âge d’or hollywoodien par extension . Car plus qu’un succédané amphibico-rétro (barbarisme dont on se laissera la primeur dans ces lignes), La Forme de l’eau fonctionne avant tout comme un dictionnaire amoureux du cinéma et de ses figures les plus emblématiques, Del Toro rendant ici autant hommage au cinéma de Douglas Sirk qu’à celui de James Whale ou Todd Browning et se fend même de clins d’œil à Hellzapopin, mètre-étalon de la comédie musicale des années 40. De la direction artistique belle à couper le souffle aux personnages tous plus magnifiques les uns que les autres (mention spéciale à Richard Jenkins, magnifique en voisin au grand cœur), en passant par son romantisme exacerbé, tous les ingrédients sont réunis pour qu’on crie au chef d’œuvre, d’autant que le papa de Del Toro nous gratifie de quelques scènes parmi les plus belles vues au cinéma ces dernières années, de purs instants de grâce qui rappellent combien ce film lui est personnel. Ok, alors qu’est ce qui cloche dans cette œuvre qui croule sous les superlatifs ? Une dimension merveilleuse en plus peut-être.
 

Fox Searchlight

 Car aussi belle soit l’histoire d’amour contée, Del Toro en occulte partiellement la dimension merveilleuse de cette créature et donc d’une certaine manière la portée de cette romance. Car là où elle aurait pu paraître sinon vraisemblable en tout cas crédible c’est si elle avait comporté une forme de séduction que le caractère anthropomorphique de la créature (pas assez exploitée) aurait accentué, il y a quelque chose de l’ordre de l’ambiguïté physique qui manque cruellement. Peut-être pourrait-on reprocher au film d’être trop ostentatoire, pas assez subtil dans sa manière d’imposer son histoire d’amour. Peut-être cela vient-il aussi du fait qu’à trop vouloir être un chef d’œuvre, le film loupe une donnée essentielle qui à nous spectateur nous échappe aussi. La forme de l’eau serait-il victime de son étiquette « film à oscars » marqué à la colle super forte ? C’est fort probable et dans ce cas-là il ne peut que décevoir. En l’état et avec cette approche La forme de l’eau enthousiasme sans jamais transporter. Il y a aussi une autre manière d’analyser le film qui peut être perçu comme une très jolie ode à la différence dont l’histoire d’amour serait une métaphore. En bon fils spirituel de Browning qu’il est, Del Toro a toujours clamé son amour pour les marginaux, très souvent à travers la figure métaphorique de la créature (Hellboy, le faune du Labyrinthe de Pan, les vampires de Blade…) faisant de Doug Jones qui incarne ici la créature son Lon Chaney à lui. Les autres personnages sont à l’avenant, incarnant des marginaux tour à tour solaires et renfermés, d’une désarmante beauté intérieure. 

Fox Searchlight

 Dès lors, La Forme de l’eau prend une toute autre résonance et apparaît comme une œuvre précieuse au sein d’un paysage hollywoodien somme toute aseptisé. Le voir récompensé du sésame suprême aux Oscars pourrait donc sonner comme un sacré pied de nez tant il se veut véhément à l’encontre d’une Amérique conservatrice engoncée dans son intolérance et sa violence incarnée ici par le personnage de Michael Shannon et de l’autre coté de l’écran par un bien trop réel Donald Trump. De fait, même s’il demeure imparfait sur plusieurs plans, même s’il semble trop ostentatoire dans ses intentions, le nouveau film de Del Toro mérite d’être vu, revu, avec l’espoir que l’hypothétique et surtout relative frustration/déception de départ (si toutefois cela est le cas) laisse place à une appréhension moins passionnée mais tout aussi impactante. Traduction : ne vous fiez pas nécessairement à votre première impression.
 

Difficile de juger objectivement La Forme de l’eau tant il se révèle aussi enthousiasmant sur nombre de points que frustrant sur d’autres. S’il lui manque ce petit quelque chose pour être un chef d’œuvre, La Forme de l’eau n’en reste pas moins un grand film. Et ça, c’est déjà beaucoup.

 

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