Critique : Last Night in Soho

Quatre ans après le tonitruant Baby Driver, Edgar Wright revient secouer le cocotier du cinéma de genre avec une énergie toujours aussi revigorante. Attention les yeux !

Un film d’Edgar Wright. Avec Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Matt Smith. Sortie le 27 octobre 2021.

Victime de la mode
Les nuits d’Eloise, partie à Londres pour suivre des études de stylisme, seraient-elles plus belles que ses mornes jours ? A première vue oui puisque dès que la jeune femme s’endort, la voilà transportée dans le swinging London des années 60, collant littéralement aux basques de la mystérieuse Sandie dont la fulgurante ascension semble faire étrangement écho aux désillusions très contemporaines d’Eloise. Mais derrière les couleurs criardes et la musique se cache une réalité beaucoup plus terrifiante qu’elle n’en a l’air. Et si le passé venait hanter le présent ? Voilà pour le postulat volontairement cryptique de Last Night in Soho, thriller fantastique sous influences convoquant aussi bien le giallo que les films de la Hammer avec un soupçon de Suspiria dont il pourrait être le pendant pop et acidulé. Last Night in Soho c’est un peu la rencontre entre le Dario Argento des débuts et Alfred Hitchcock période Sueurs Froides, le tout mis en scène par un Edgar Wright qui aurait troqué le rire par les frissons sans toutefois se dépêtre de son côté sale gosse trop heureux de pouvoir tout déconstruire. A l’image de son vrombissant Baby Driver, Last Night in Soho détonne par son approche très frontale et premier degré, disséminant l’humour par petites touches mais gardant toujours en ligne de mire le genre qu’il explore. Ce qui distingue Last Night in Soho de Baby Driver – et le rapprocherait peut être davantage de sa trilogie Cornetto – c’est sa manière d’aborder comme véritable terrain d’expérimentation formelle et stylistique. En véritable alchimiste de la pellicule, Wright joue avec les perspectives, nous entraine dans les méandres de son intrigue par les chemins les plus sinueux possibles, mais surtout il s’amuse comme jamais avec l’image nous offrant des séquences d’une incroyable maitrise visuelle. C’est bien simple sur le plan de la forme Last Night in Soho est le film le plus abouti et fou d’Edgar Wright. Un véritable festival pour les sens, un plaisir pour les yeux d’une réelle inventivité. On n’oserait dire virtuose tant le terme semble galvaudé, force est de reconnaitre qu’il est ici totalement approprié.

Copyright Universal Pictures

De l’autre côté du miroir
Mais ce qui interpelle dans le nouveau film de Wright c’est surtout sa tonalité extrêmement sombre. Derrière la frénésie visuelle, la maestria de la mise en scène et la photo chatoyante, Last Night in Soho traite de thèmes aussi durs que le deuil, le viol. Le genre sert ici de métaphore pour dénoncer les dérives d’une société patriarcale qui objetise la femme à outrance quitte à la dépouiller de son âme, de son humanité. Une société qui, en près de soixante ans, n’aura pas tellement changé comme en témoigne les parcours croisés d’Eloise et Sandie aux troublants effets de miroir. A bien des égards, le métrage nous invite à regarder au-delà des apparences, met en garde contre le danger de la nostalgie, du passéisme bête et méchant. Et c’est également là que réside l’une des principales qualités du film, dans son approche très contemporaine et lucide, n’hésitant pas à mettre l’accent sur l’aspect malheureusement très intemporel de la prédation sexuelle. En cela, on peut dire qu’il est totalement représentatif du raz-de marée qu’a été et continue d’être le mouvement #MeToo mais sans l’opportunisme teinté de wokisme primaire qu’on pourrait prêter à d’autres films s’étant engouffrés dans la brèche. Last Night in Soho est un film de femmes, porté par des actrices extraordinaires et qui a l »immense mérite d’avoir offert un tout dernier grand rôle à l’immense et regrettée Diana Rigg. Tour à tour intriguant et flippant, solaire et malaisant, le film d’Edgar Wright joue malicieusement et avec brio sur différents motifs  pour nous emporter corps et âme dans un voyage fantasmagorique aux effluves funestes, le tout porté par une B.O. qui ferait rougir de plaisir un certain Quentin Tarantino. Un grand huit émotionnel à voir sur le plus grand écran possibles pour en déceler toutes les nuances à la fois chromatiques et émotionnels.

Note:4 out of 5 stars (4,0 / 5)
Réalisation:4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Scénario:3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)
Montage:4 out of 5 stars (4,0 / 5)

Fourmillant d’idées visuelles toutes plus dingues les unes que les autres, Last Night In Soho est un ghost movie brillant doublé d’une sublime déclaration d’amour au 7ème art. Et quelle B.O. !