Critique : Midsommar

 
Un film d’Ari Aster. Avec Florence Pugh, Jack Reynor, Will Poulter. En salles depuis le 31 juillet 2019.

 
Un an après Hérédité, le prodige Ari Aster se fend d’un nouveau « feel bad movie » d’une richesse et d’une intelligence folle. A ne pas mettre sous tous les yeux mais à regarder d’urgence !

 

Note:4 out of 5 stars (4 / 5)
Réalisation:4 out of 5 stars (4 / 5)
Scénario:4 out of 5 stars (4 / 5)
Montage:4 out of 5 stars (4 / 5)

 

Les histoires d’amour finissent mal en général… que dire alors de celles qui se basent sur la co-dépendance affective ? Un an après nous avoir sacrément secoué avec son brillant Hérédité, Ari Aster remet le couvert avec comme ambition première de nous traumatiser. Rien que ça ! A l’heure où le Conjuring universe (Annabelle, La Nonne etc…) impose de nouveaux – et pas franchement folichons- standards en termes de films d’horreur, Midsommar est son approche plus esthétique, « intellectualisante », apparait comme une véritable bouffée d’air frais… si on peut dire ! Il faut dire que contrairement aux films cités ci-dessous capitalisant sur un style interchangeable, le film d’Ari Aster ose l’esthétisme à outrance, les effets de mise en scène élégants pour traduire une terreur plus sourde, pernicieuse. A la photographie sombre d’Hérédité, Aster oppose ici un esthétisme plus solaire et pour cause puisqu’il suit le périple d’un groupe d’américains se rendant en Suède au sein d’une mystérieuse communauté pour célébrer le solstice d’été. Jusqu’ici tout va (presque) bien si ce n’est que le groupe n’est pas forcément ravi que la petite amie de l’une d’entre eux se joigne à la fête tout ça pour se changer les idées suite au décès tragique de ses parents. Et si les membres de la communauté semblent avenants, cette gentillesse teintée de méfiances pourrait dissimuler bien d’autres desseins. Ça change du Roi Lion ! Après s’être intéressé à la sacro-sainte cellule familiale, Aster s’attaque donc à une autre institution : le couple et se sert de son postulat horrifico-intimiste comme allégorie du lâcher-prise. Cathartique certes mais à la mode Aster c’est-à-dire avec une bonne dose de malaise et de scènes fortes. Des séquences fortes, Midsommar n’en manque pas, bien au contraire mais à l’intelligence de ménager ses effets, privilégiant la suggestion pour mieux se dévoiler dans toute sa sublime horreur là où par exemple sur un même canevas Eli Roth aurait versé dans la démonstration.

 

Copyright Gabor Kotschy, Courtesy of A24

 
Plus ambitieux stylistiquement et thématiquement que le déjà très réussi Hérédité, Midsommar est une œuvre extrêmement riche, peut-être trop même. Travaillé à l’extrême, chaque plan renvoie à une influence picturale différente et ressemble presque à un jeu de pistes artistique le côté ludique en moins. Bénéficiant d’une magnifique photo solaire de Pawel Pogorzelski et d’un sound design oppressant à souhait, Midsommar est une expérience autre, extrême, une sorte de cauchemar éveillé où la beauté de l’image n’a d’égale que l’horreur de ce qui s’y tapi derrière. Deux heures et demie durant, Aster joue avec nos nerfs, souffle le chaud et le froid avec une précision terrifiante mais sans jamais prendre le genre de haut. Mais – car il y a un mais forcément- si Aster nous offre ici un vrai petit bijou, il se révèle paradoxalement moins viscéral et frontal qu’Hérédité qui touchait à quelque chose de plus intime. Malgré sa photo lumineuse, on pourrait même dire que Midsommar est plus « froid » que son grand frère. De là à dire que Midsommar est raté, il y a un pas que nous ne franchirons absolument pas tant la proposition qui nous est offerte ici se révèle incroyable de maitrise et d’intelligence. Pour son second long-métrage, Aster accouche d’une œuvre totale, brillante, foisonnante et fonctionnant sur de multiples niveaux de lecture. Intemporels et davantage expérimentaux dans leur manière d’aborder la narration, les films d’Aster renvoient à un cinéma qui sait lier horreur et intime au sein d’un même labyrinthe mental, quelque part entre les cinémas de Nicolas Roeg, Roman Polanski ou encore Ingmar Bergman. Tout est ici question de motifs, de symboles et si les clés nous sont données au fur et à mesure c’est à nous spectateur d’essayer d’en trouver les liants. Aster rejoint ainsi Robert Eggers, réalisateur de l’excellent The Witch dont on attend The Lighthouse avec impatience, dans le cercle très fermé des auteurs portant un VRAI regard sur le genre. A défaut de vous faire passer un « agréable » moment, Midsommar risque bien de vous bousculer, voire vous filer un bon gros uppercut, vous n’en ressortirez pas indemne mais peut-être bien reconnaissant au fond d’avoir vécu une expérience si riche. Et ça, en ces temps d’uniformisation stylistique et narrative, c’est déjà beaucoup !

 

Moins intimiste et frontal qu’Hérédité, Midsommar reste une œuvre sidérante, de celles qui ne vous laissent pas indemne. A voir absolument… à vos risques et périls !