Critique : Mourir peut attendre

Daniel Craig tire sa révérence dans un opus aux airs de requiem qui, selon l’expression consacrée, a les qualités de ses défauts, entre moments de flottements et scènes d’action à l’étonnante tonalité. Critique garantie sans spoilers.

Un film de Cary Joji Fukunaga. Avec Daniel Craig, Lashana Lynch, Rami Malek. Sortie le 6 octobre 2021.

Sortir peut attendre
Après plus d’un an et demi d’expectative, Mourir peut attendre, ultime Bond de l’ère Craig, arrive enfin en salles charriant avec lui l’immense pression d’être à la hauteur des attentes suscitées dont il a été l’instigateur volontaire avant que le Covid s’en mêle ! Après de multiples reports, est-on en droit de dire que la patience du spectateur sera récompensée ? Oui… mais pas forcément comme il pourrait l’entendre. Comprendre par là que Mourir peut attendre marquera à coup sûr un tournant et ce bien au-delà de ce qu’aura intronisé Casino Royale il y a quinze ans. A commencer par sa séquence d’ouverture définitivement à part.Alors que traditionnellement, les séquences pré-génériques nous plongent d’emblée dans l’action comme pour marquer le ton, celle de Mourir peut attendre, étonnamment longue et narrative, impose une autre temporalité, une notion de flottement qui perdurera jusqu’à nous prendre par surprise au cours d’une poursuite aussi tonitruante que son introduction était calme. Véritable miroir de l’épilogue vénitien de Casino Royale, elle donne d’emblée le ton de ce qui demeurera certainement l’opus le plus singulier de la saga Bond.Aussi vrai que le générique de Casino Royale boosté par le timbre énergique de Chris Cornell annonçait une entrée de scène avec pertes et fracas, celui de Mourir peut attendre, beau, glacial et nimbé d’une tristesse étonnante préfigure une sortie de piste qui ne laissera personne indemne. Cette rupture de ton intégrée, le film de Cary Joji Fukunaga peut enfin dérouler ses enjeux.A l’origine des meilleurs épisodes de la première saison de True Detective, le cinéaste américain (une première dans l’histoire de la saga Bond) creuse ici ce même sillon de la rédemption passant indubitablement par une forme de nihilisme. Sa mise en scène, moins fonctionnelle que celle de Marc Forster ou élégante que celle Sam Mendès, est à l’image de ce changement de tonalité et se révèle aussi efficace par moments que discrète à d’autres le tout nimbé dans une photo tour à tour crépusculaire et minérale.

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Retraité Extrêmement Dangereux
Mais au fait de quoi parle Mourir peut attendre ? De la fin d’une ère, ou plutôt d’une ère mais à différents niveaux. Alors que Spectre, l’organisation du diabolique Blofeld (Christoph Waltz) continue de nuire, un nouveau joueur en la personne de Lyutsifer Safin (Rami Malek) entre en scène avec la ferme intention de faire feu de tout bois, obligeant par là même Bond (Daniel Craig) à sortir de sa paisible retraite.  Si l’intrigue de Mourir peut attendre contient de nombreux trous, parfois péniblement comblés, l’intention reste claire : offrir au Bond de Craig une sortie de piste lavant l’affront Spectre. Et sur ce point, le film réussit son pari haut la main, offrant par là même une conclusion qui risque de déconcerter bon nombre de spectateurs qu’ils soient fans ou non de Bond. On vous l’a dit plus haut, ce Bond détonne à bien des égards de tout ce que la saga a pu nous offrir jusque-là. En effet, il prend le pari de démythifier totalement son héros pour en faire un homme, un personnage à part entière à priori dépouillé de tous les attributs (ou artifices) qui ont forgé sa légende.Mourir peut attendre raconte la fin de cette bataille pour accéder à cette humanité dont on l’aura privé. Le Bond présenté ici semble bien loin de celui qu’on aura connu jusqu’ici : son visage porte inlassablement les stigmates de ce combat à priori perdu d’avance, il se laisse facilement déborder par ses émotions. Bond n’est plus 007 mais James, un quidam désabusé qui ne croit plus en rien si ce n’est sa faculté à survivre. Alors oui, l’ex espion a encore de beaux restes et le démontre lors de scènes d’action particulièrement énergiques, mais cette dernière mission qui s’impose à lui a davantage des airs de baroud d’honneur que de retour sur le devant de la scène. Sans jamais essayer d’en faire trop, le film intrigue, détonne, déconcerte, agace, instaure ce flottement évoqué plus haut, avant de passer la seconde, bref impose son propre rythme au détriment parfois d’éléments parmi les plus élémentaires.

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Où sont les femmes ?
Aussi iconoclaste soit-il, Mourir peut attendre reste avant tout un film d’espionnage avec toutes ses figures imposées, fussent-elles malmenées. A ce jeu-là le film souffle le chaud et le froid. Si l’on ne peut que saluer la démarche d’aller à contre courant de tout ce que la saga et par extension le genre nous a proposé jusqu’ici, le film ne va malheureusement pas toujours au bout de ses bonnes idées. Symptomatique de cet état de fait, le bad guy interprété par le pourtant excellent Rami Malek est ici réduit à sa plus simple épure, scandaleusement sous-exploité malgré son potentiel énorme.Difficile de véritablement croire en sa mégalomanie ni même à la portée tentaculaire de son organisation recroquevillée dans un immense dojo à la déco tout droit sortie difficile d’un catalogue de Maisons du Monde. A l’image de Bond, Safin ressemble à un lointain écho du monde d’avant tentant désespérément d’exister dans celui d’aujourd’hui. Intéressant sur le papier mais pas suffisamment bien exploité.Il manque à ce personnage l’ancrage nécessaire pour l’incarner durablement dans la mythologie. Même son de cloche pour Nomi (Lashana Lynch), nouvelle 007 au charisme certain mais dont on ne permet pas suffisamment de sortir de l’ombre de Craig faute d’une ou plusieurs grandes scènes à marquer de son sceau.Au rang des personnages sacrifiés, on citera également la formidable Ana de Armas (qui avait déjà côtoyé Daniel Craig sur A couteaux tirés) dans la peau de l’affolante Paloma, newbie à l’étonnante dextérité, aussi maladroite dans son attitude que précise quand elle prend les armes.Difficile également de faire l’impasse sur Christoph Waltz et Léa Seydoux, gros miscast dont les interprétations respectives parasitent partiellement le nœud émotionnel du diptyque Spectre/Mourir peut attendre.

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Adieu aux (l)armes
Hanté par le passé, effrayé par le futur ou plutôt son absence, Mourir peut attendre n’est pas tant une énième aventure de l’agent secret qu’une course avec ses temps forts, ses moments de mou et duquel se dégage un panache presque désespéré. Autrement plus dynamique, dense et formellement travaillé que le mollasson Spectre, il nous emmène vers des rives inattendues quitte à se casser la gueule au détour de séquences parfois superflues où le trop plein d’humanisation phagocyte quelque peu une intrigue surlignant ses enjeux au stabilo quand elle ne tente pas de colmater ses trous au forceps. Et pourtant si le film sacrifie parfois trop le narratif au profit de l’intime, il sait aussi se montrer passionnant dans les thématiques qu’il propose et sa propension à incarner Bond dans l’action et l’espace de manière totalement inédite. Il y a dans ce Mourir peut attendre quelque chose d’éminemment funeste, comme un chant du cygne qui ne dit pas son nom ou plutôt le clame trop fort. Un part pris osé et courageux qui ne manquera pas de faire grincer des dents mais hautement salutaire tant le personnage a su montrer ses limites notamment dans ses capacités de renouvellement. Difficile d’être moins nébuleux sous peine d’effleurer la surprise, tout juste pourra-t-on dire que Craig tire sa révérence de manière autrement plus digne que tous ses prédécesseurs. Et si l’amertume reste de mise, la portée ne sera définitivement pas là même.

Note:3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)
Réalisation:3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)
Scénario:3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)
Montage:3 out of 5 stars (3,0 / 5)

Adieu aux armes aussi déconcertant que singulier,  Mourir peut attendre signe la fin non seulement d’un cycle mais également d’une époque avec un panache à contre courant qui le place définitivement à part dans la saga bondienne. Un chant du cygne qui marquera les esprits aussi imparfait que nécessaire et inattendu.