Critique : Paperboy

 

Un film de Lee Daniels. Avec Matthew McConaughey, Zac Efron, Nicole Kidman. Sortie le 17 octobre 2012.

 

Le réalisateur de Precious sonde l’âme humaine dans ce qu’elle a de plus belle et terrible dans un drame faussement nostalgique mais réellement singulier.

 

Note : 3,5/5

 

Il y a mille et une raisons de détester Paperboy : son mauvais gout assumé, ses personnages majoritairement antipathiques, son intrigue fine comme un ticket de métro. Mais tout ceci n’est que la face émergée de l’iceberg ou en tout cas les prétextes évidents qui pousseront les ayatollahs de la bienséance à conspuer Lee Daniels. Que l’on a aimé ou pas son Precious, tout le monde s’est accordé à reconnaître un certain savoir faire derrière l’apparat lacrymal. Paperboy c’est un peu la même chose : derrière l’apparente vulgarité et sa propension à aller parfois loin dans le racolage, se cache un propos et surtout une vision de l’Amérique extrêmement intéressants. Situé en 1969, le film de Lee Daniels suit le parcours de Ward Jensen(Matthew McConaughey) , journaliste revenu dans son Sud natal pour prouver – ou pas – l’innocence d’un homme (John Cusack) accusé du meurtre d’un shérif. Littéralement collé par la copine du forcené, Charlotte (Nicole Kidman), Ward embarque avec lui son frérot (Zac Efron). Rapidement, Ward tombe sous le charme de la troublante Charlotte. Autant le dire tout de suite : Daniels se fout éperdument des tenants et aboutissants de l’enquête qu’il utilise comme vague prétexte pour mieux dérouler le portrait peu reluisant d’une Amérique maintes fois cantonnée à ses clichés les plus tenaces quand elle n’est pas tout bonnement occultée. Alors oui pour se faire, il use de moyens peu orthodoxes quittes à se la jouer très démonstratif. D’aucuns crieront au scandale, d’autres s’esclafferont à en perdre haleine mais personne ne risque d’être indifférent devant cet éloge du mauvais gout.

 

© Tous droits réservés
Matthew McConaughey et Zac Efron dans Paperboy de Lee Daniels

 

Mais Paperboy ne se réduit pas à son simple caractère racoleur : bien au contraire, il utilise celui-ci à bon escient en le diluant au sein d’une atmosphère de plus en plus anxiogène. Ici, la moiteur du climat fait écho à la détresse de personnages prisonniers d’eux mêmes et cherchant désespérément une porte de sortie. Passé une première partie d’une douce vacuité, le malaise finit par s’installer. Pire, il apparaît comme faisant partie intégrante d’un quotidien fait de sueur et de sang. Dès lors, les scènes à forte teneur « nanardisante » (Nicole Kidman et John Cusack simulant une fellation à distance aux cotés d’un Matthew McConaughey médusé, Kidman urinant sur Efron) apparaissent de moins en moins choquantes, comme si la zone de sécurité du spectateur avait subitement changé et que l’inconfort devenait confortable. C’est tout l’attrait de ce métrage qui ne cesse de fonctionner par paradoxes. Le caractère volontairement outrancier ne fait qu’appuyer le propos sans jamais s’en servir comme prétexte. Petit à petit, Paperboy nous embarque toujours plus loin dans les entrailles de cet Enfer tour à tour ouaté et poisseux. C’est aussi et surtout l’occasion pour le cinéaste d’apposer sa griffe. En optant pour un style très old school à base de 16mm craspec, Daniels marche à contre courant et triture l’image d’Epinal des années 60 tendance Mad Men. L’Amérique à un coté sombre qu’il situe ici entre Dans la Chaleur de la nuit de Norman Jewison et une relecture très déviante du cinéma de Douglas Sirk. Car oui, avant d’être un objet de scandale , son film est un vrai et beau drame humain sur la solitude doublée d’une très belle histoire d’amour fraternelle. Et si au final certaines maladresses ont du mal à passer, on ne peut lui retirer son caractère très singulier. Alors oui le résultat peut parfois vulgaire, excessif voire vain mais pour peu qu’on laisse tomber ses à priori, il parvient à infuser doucement jusqu’à ce que ses pires défauts nous apparaissent comme ses meilleures qualités. Fusse t il pour cela passer par un chemin de croix fait de larmes, de sang et de foutre. Pas très glorieux mais diablement fascinant.

 

Pas toujours très fin, Paperboy vaut beaucoup mieux que le léger parfum de scandale qu’il dégage et mérite qu’on gratte vivement derrière la surface cradingue pour mieux y découvrir sa beauté cachée.