Un film de Sam Mendès. Avec Daniel Craig, Javier Bardem, Judi Dench. Sortie le 24 octobre 2012.
James Bond rempile au service secret de sa majesté dans un opus préparé au shaker mais jamais à la cuillère.
Note : 4/5
Le bond nouveau est arrivé et tel un bon champagne Bollinger (que vous verrez apparaître ou pas au détour d’une séquence), il se déguste jusqu’à ce que ses bulles incandescentes vous enivrent. Dans Skyfall, ce n’est pas le ciel qui tombe sur la tête du plus célèbre des agents secrets mais bien le courroux d’un ennemi invisible bien décidé à faire tomber le MI-6. Alors que Quantum of Solace surfait sur la tendance très bournienne de l’action à outrance véhiculée par un montage syncopé et de fait peu lisible (n’est pas Greengrass qui veut), ce nouvel opus opte pour un salutaire retour aux fondamentaux. C’est ainsi que derrière une intrigue à l’apparent simplisme se cache des ramifications toutes autres auxquelles les personnages de Bond et M font irrémédiablement échos. Car s’il y a bien un thème qui est au centre c’est la relation entre ces deux forces complémentaires : l’adulte en devenir face à la mère castratrice. L’occasion pour eux de se toiser lors d’affrontements malicieux où plus que jamais chaque phrase camoufle un double sens comme autant de clins d’œil adressés au public. N’allez cependant pas croire que Skyfall joue la carte du pseudo meta film jetant un regard méprisant sur la mythologie dans laquelle elle s’inscrit. Bien au contraire, le film de Sam Mendes est un pur Bond au sens noble du terme avec ce qu’il faut d’action, de rebondissements et de pulpeuses James Bond Girl. La réelle différence se situe ici au niveau des ambitions : alors que dans les opus précédents, Bond se voyait englobé au sein d’enjeux dont il n’était qu’un maillon, celui-ci se veut plus intimiste dans la mesure où il offre une réelle épaisseur à un personnage qui se dessine peu à peu comme allant au delà du clivage de simple force motrice. Bond n’est pas qu’un symbole mais aussi un homme qui sait quand l’incarner et pourquoi.

Un changement de cap fort bien opéré dans Casino Royale et qui trouve ici un véritable ancrage. Davantage que dans Quantum of Solace ,qui apparaît encore aujourd’hui comme un « formidable » accident industriel ayant enrayé la mécanique bondienne, Skyfall enfonce avec une fermeté admirable les jalons posés par son illustre prédécesseur. En cela on peut dire que si le film de Martin Campbell était l’équivalent bondien de Batman Begins (comme le précise Julien Munoz, notre collègue de CinemaTeaser ) Skyfall serait l’équivalent thématique de The Dark Knight. Il faut dire qu’avec ses scènes d’action rares mais dantesques, sa photo d’une beauté à tomber, son regard plein de maturité son sur son héros et surtout un bad guy ayant une forte propension à bouffer l’écran, le film sonne comme un incroyable appel du pied à Christopher Nolan. Mais déroulons dans l’ordre les éléments qui en font un Bond de classe A. Nous avons déjà évoqué le héros, sorte de force brute pris entre les feux de l’être et du paraître. L’autre aspect non négligeable tient dans ses formidables ambitions esthétiques et plastiques. En injectant une réelle dramaturgie (que d’aucuns pourront qualifier de shakespearienne) à l’ensemble, Sam Mendes prouve que son cinéma se marie parfaitement avec les aventures du héros de Ian Flemming. On y retrouve ici et là quelques thématiques inhérentes à son cinéma mais surtout une volonté d’allier action et réflexion en touchant droit au plus vivace des organes : le cœur. Skyfall appartient à une catégorie de blockbusters sensitifs où la mise en scène importe autant que les enjeux. Qu’il s’agisse de la magnifique photo de Roger Deakins qui joue avec maestria sur les clairs obscurs (superbe séquence au milieu des méduses à la Shanghai), de l’excellente musique de Thomas Newman ou encore de la mise en scène d’un Mendes parfaitement rompu aux règles du genre (pour une première c’est rare chapeau bas), tout concourt à donner à ce Bond cette classe folle qui lui aura parfois fait défaut par le passé.

Ce qui interpelle également dans Skyfall c’est son astucieuse réappropriation de figures et codes inhérents à la mythologie. Point de spoilers ici mais les fans en regardant le film ne pourront s’empêcher d’y déceler ici et là quelques discrets et savoureux clins d’œil (les dragons de Komodo faisant référence aux requins de Permis de tuer pour ne citer qu’eux) comme pour signifier que James fera toujours partie de l’Histoire du 7eme art. Symptomatique de cet état de fait : le bad guy interprété par un Javier Bardem génial au look pas possible. Quintessence de ce que Bond a plus rencontrer de plus dangereux comme ennemis, ce Némésis au gout prononcé pour le théâtral à ce petit quelque chose qui le rapproche du Joker version Heath Ledger (quand on vous disait que la production fait du rentre dedans à Nolan), cette douce folie qui le rend aussi imprévisible que dangereux. Sublime alter ego diabolique, son outrance dissimule un machiavélisme qui le propulse instantanément au panthéon des plus mémorables méchants de la saga. Comme à son habitude, Daniel Craig offre toujours de prestance et de carrure au costume de Bond en y insufflant cette touche de mélancolie renfrognée qui fait toute la différence. Du coté des dames : Judi Dench impressionne plus que jamais dans son rôle de marâtre à la main de fer dans un gant de velours. Fidèles à leurs réputations, les Bond Girls ne cessent de charmer à commencer par Naomie Harris. Tour à tour séductrice et redoutable, elle est la parfaite représentation des ambitions lancées par ce revival bondien tandis que la troublante Béatrice Marlohe ne cesse de charmer au gré de ses rares apparitions. Seul bémol dans cet amas de perfection : une tendance à un peu trop appuyer le thème des vieux briscards qui en ont encore sous le pantalon ! Mise en scène racée, scénario mille feuilles et personnages borderline, sans oublier le sublime générique transcendé par l’incroyable voix d’Adele… Skyfall apparaît comme un pur produit de la culture britannique loin des dérives cartonnesques de ses ainés pré Casino Royale. Soit une sorte de compromis entre Bons baisers de Russie et les exigences dues aux blockbusters actuels. On en ressort avec une sacrée patate et l’espoir secret que Christopher Nolan se penche un jour sur le cas de l’espion.
Avec Skyfall, Sam Mendès nous offre : un pur Bond qui repose avec panache et malice les jalons de la saga. Bien joué Mr Bond !