Critique : The Batman

Attendu comme le messie, cette relecture de Batman par le prodige Matt Reeves subjugue autant qu’elle peut laisser de marbre.

Le jeu du chat et de la (chauve) souris
A l’heure où Spiderman : No way home pulvérise tous les records au box-office, il est bon de remettre les pendules à l’heure. The Batman de Matt Reeves n’est PAS un film de super-héros, mais plutôt une longue ballade rock dans les méandres d’une ville cartographiée comme la psyché de son personnage titre, chaque allée, chaque ruelle renvoyant à une névrose de Bruce Wayne/Batman. Ici, Batman n’est pas encore le Chevalier Noir immortalisé par Bob Kane mais un être en quête de sens, profondément torturé, et cherchant désespérément la catharsis à travers ses errances nocturnes. Mue par une rage incontrôlable, il arpente les rues de Gotham depuis deux ans ne sachant vraiment s’il doit veiller sur la ville comme un être vengeur ou bienveillant. En cela, le film de Matt Reeves se rapproche énormément de Batman : Year One, l’œuvre séminale de Frank Miller écrite en 1987 et qui avait donné lieu à une adaptation animée bien trop sage et révérencieuse en 2011. D’Un long Halloween au récent Batman Ego en passant par Amère victoire, les influences graphiques de The Batman sont légion mais en l’occurrence ce seront ici davantage les emprunts cinématographiques, musicales, voire vidéoludiques imprégnant le métrage d’un feu incandescent qui nous intéresseront ici. Arpentant les rues de Gotham tel un ange destructeur depuis près de deux ans, Batman doit faire face à sa première vraie enquête (une série de meurtres commis par un maniaque dédiant à chaque fois au justicier une « carte » comme autant d’indices) et par extension sa première Némésis : le Riddler. Une enquête aux confins de la folie qui l’amènera à découvrir de sombres secrets sur la famille Wayne et à remettre en question les motivations de sa croisade contre le crime. En lisant ce court synopsis, les gamers y décèleront à coup sûr certaines occurrences avec [ATTENTION SPOILERS] l’intéressant Batman : The Telltale stories sorti en 2016 [FIN SPOILERS]. Moins cérébral mais plus viscéral que les Batman de Christopher Nolan, The Batman, par extension, tranche radicalement avec tous les autres films du DCU, n’essayant jamais de se raccrocher au super train Marvel par le truchement de blagounettes douteuses, ou d’être aimable avec un public biberonné aux héros sans peur et sans reproches. Ici, Matt Reeves semble nous dire que la vertu peut se cacher derrière de nombreux vices et, plus étonnant encore, que la réciproque est tout aussi vraie. L’enfer est pavé de bonnes intentions, et pour Batman ce chemin de croix révélera non pas son côté christique mais son pan humain, celui-là même qu’il tente de dissimuler derrière ses nombreux masques.

Copyright Warner Bros Pictures

Les pieds sur terre
Dès les premières images, le film de Matt Reeves détonne, surprend, d’abord par son approche très terre à terre, d’une rigueur glaçante. On pense d’emblée au Nouvel Hollywood, à ces films qui nous plongeaient d’emblée dans l’action en faisant preuve d’une frontalité déconcertante. Puis vient ensuite cette superbe balade au son de Something in the way de Nirvana, tout d’un coup le film prend des atours crépusculaires, se dessine comme une descente longue, mélancolique et désespérée dans les arcanes d’une ville en quête d’humanité gangrénée par la misère et la corruption. Renouant avec la dimension « détective » du personnage principal, The Batman se revendique davantage comme un film noir que comme un film de super-héros et en invoque toutes les figures imposées de l’enquêteur torturé (Batman/Bruce Wayne donc) à la Femme Fatale (Selina Kyle/Catwoman) en passant par le mafieux (Le Pingouin) et le tueur psychopathe (le Riddler). Mais aussi sombre et terre à terre soit-il, The Batman n’en est pas moins empreint d’une forme de fantasmagorie, certes infiniment moins appuyé que dans les films de Tim Burton, mais présente par petites touches. Une forme de « réalité poétique » renforcée par la superbe photographie de Greig Fraser dont le travail sur les plateaux virtuels (il a notamment travaillé sur The Mandalorian) aurait pu laisser craindre une texture trop artificielle à l’image. Que nenni, The Batman – si l’on occulte quelques plans un poil trop voyants – apparait comme une forme d’apogée dans l’utilisation des studios virtuels et capitalise sur des tons d’une troublante beauté. On saura gré également au chef décorateur James Chinlund (The Fountain), collaborateur de longue date de Matt Reeves d’avoir donné une vraie identité à Gotham City laquelle dépeinte comme une chair vivante rongée de l’intérieur apparait plus organique que jamais.  Il découle de ce Batman une mélancolie, un fatalisme, qui le place définitivement à part. Comme sorti d’une forme de chaos, The Batman apparait comme une forme d’incarnation du mouvement grunge. On retrouve ce même bouillonnement intérieur, cette énergie teintée de désespoir qui finit par exploser dans un grand barnum de bruit et de fureur. Cette minéralité on la retrouve à la fois dans la mise en scène de Matt Reeves qui alterne morceaux de fureur et plages aériennes mais également et surtout dans l’interprétation de Robert Pattinson, choix o combien judicieux tant il parvient à renvoyer à la détresse de la génération X, ce besoin de trouver sa place, de laisser libre cours à son mode d’expression.

Copyright Warner Bros Pictures

Chauve qui peut
Comme beaucoup des précédents films de Matt Reeves, The Batman peut de prime abord, laisser circonspect, ne serait-ce que par son approche résolument « naturaliste », factuelle qui laisse supposer une constante imperméabilité à toute forme d’émotion. Difficile effectivement de ressentir une véritable empathie pour les personnages, de se sentir en phase avec eux tant on sent que l’objectif de Matt Reeves est d’instaurer avant tout une ambiance.Peut-être trop réaliste pour son propre bien, le film dépouille son héros de tout aura mythique et mythologique pour l’ancrer dans une forme de quotidien déconcertant. Une approche à double tranchant car si elle permet d’ausculter le personnage sous un prisme inédit au cinéma, elle le rend parfois bien trop ordinaire. Heureusement,cet aspect est rapidement éludée lorsqu’entre en scène l’excellente bande originale composée par Michael Giacchino. D’une incroyable densité, elle insuffle au film ce souffle épique, cette ampleur que la mise en scène ne parvient pas toujours à donner. Mention spéciale au thème consacré à Batman, orchestration monstrueuse qui insuffle au personnage une réelle dimension mythique. Tout d’un coup et par le truchement d’un thème aux accords savamment dosés, l’homme chauve-souris change d’envergure, tutoie les cieux par ses atours spectraux tout en gardant les pieds et les poings solidement ancrés sur terre ! Le principal défaut de The Batman,  ne réside pas dans son approche o combien pertinente et intéressante du mythe mais plutôt dans sa narration. Conscient d’être passé après deux mastodontes (Tim Burton et Christopher Nolan), Matt Reeves semble se sentir obligé de jouer les prolongations, s’appesantir sur certains éléments périphériques et une intrigue principale faussement tortueuse pour mieux cacher un certain manque d’ambition comme si quelque part le mythe autour du personnage semblait parfois trop lourd pour lui. Comprendre par là que le film pêche par une propension à trainer la cape, beaucoup trop capitaliser sur son ambiance au détriment du sentiment d’urgence qui l’irrigue lors de ses plus grands moments de bravoure dont une incroyable poursuite en voiture dont la fureur n’est pas sans rappeler un certain Mad Max.Plus Mad Max premier du nom que Fury Road, le film de Reeves peut parfois trop austère, anti-spectaculaire et en cela créer une forme de rejet ou tout du moins d’indifférence poli. Moins accessible que ses prédécesseurs dans la mesure où il ne se donne pas d’airs de blockbuster.

Note:3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)
Réalisation:4 out of 5 stars (4,0 / 5)
Scénario:3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)
Montage:3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

The Batman peut déconcerter par sa (re)lecture profondément réaliste du mythe, sans lyrisme certes mais avec une certaine poésie, de celles de ces œuvres transcendées par l’aura damnée de leurs protagonistes.