Critique : Us

Un film de Jordan Peele. Avec Lupita Nyong’o, Winsto, Duke, Elisabeth Moss. Sortie le 20 mars 2019.

 

Deux ans après Get Out, Jordan Peele creuse le sillon de l’inquiétante étrangeté se servant du genre comme allégorie d’une société qui court à sa perte. Un deuxième essai transformé ?

 

Note : 3/5

Us est un film problématique… non pas qu’il soit mauvais – loin de là- mais il pose en creux la question du bien fondé de la hype. Il y a deux ans Jordan Peele faisait ses débuts devant la caméra avec Get Out, pendant cauchemardesque de Devine qui vient diner… précédé d’une très flatteuse réputation. Immédiatement consacré nouveau roi du cinéma d’horreur, l’acteur/réalisateur arrivait dans la cour des grands avec pertes et fracas. Et si son premier film a été unanimement salué (à l’instar d’un certain Sans un bruit un an plus tard), la team Cinevibe était moins enthousiaste. Il faut dire qu’en dépit de ses réelles qualités, le film pêchait par un réel problème de positionnement (comédie noire ? Film d’horreur ? Charge anti Trump ?), de rythme et une propension au loli lol qui amenuisaient grandement l’impact de son propos pourtant malin. Roublard mais pas désespérant, Get Out marquait toutefois la naissance d’un auteur au sens noble du terme aussi habile dans sa mise en scène que maladroit dans son écriture. Mais qu’à cela ne tienne, l’essai avait beau ne pas être transformé pour nous, on attendait tout de même le prochain projet de Jordan Peele avec une certaine curiosité, voire impatience. Ainsi, Us et sa bande annonce aussi cryptique qu’inquiétante ont tôt fait de nous intriguer, augurant un film beaucoup plus énigmatique et à priori radical. Et le moins que l’on puisse dire c’est que deux ans après Get Out, la hype ne désenfle pas, au contraire elle aurait même tendance à s’amplifier comme en témoigne cet hallucinant score de 100% sur Rotten Tomatoes et des critiques américaines ET françaises dithyrambiques comparant notre cher Jordan Peele à Alfred Hitchcock, rien que ça ! Alors réputation méritée ? Oui et non ! Oui dans la mesure où avec Us, Peele franchit un palier supplémentaire dans sa mise en scène extrêmement soignée et maitrisée. Renvoyant autant au cinéma d’Hitchcock – toutes proportions gardées- pour sa gestion du suspense, qu’à celui de Wes Craven pour son approche éminemment frontale du genre horrifique, Peele parvient à créer une réelle ambiance, ancre son récit dans une forme de quotidien qui n’est pas sans rappeler Shyamalan tout en créant une sorte de gêne, cette « inquiétante étrangeté » devant une mécanique trop bien huilée et qui faisait déjà tout l’intérêt de Get Out.

Universal Pictures

 

Plus encore que les grands noms de l’angoisse, c’est davantage à David Lynch (et plus particulièrement la saison 3 de Twin Peaks) que Peele semble prêter allégeance nous montrant une image d’Épinal trop belle pour être réelle, menaçant à chaque instant de se distordre totalement pour laisser place à une réalité plus cauchemardesque. Le rêve américain dans toute son horreur ! Jouant parfaitement de cette ambivalence, Lupita Nyong’o fait des merveilles en mère de famille acculée tout comme le reste du casting particulièrement convaincant et émouvant. Ne cédant jamais aux sirènes du jump scare bête et méchant, le cinéaste ménage ses effets, préférant instiller un malaise qui ira crescendo jusqu’à une partie de cache-cache terrifiante à souhait, de celles qui vous font passer direct l’envie de louer une maison en bord de mer. Passé ce premier cap aussi maitrisé dans la forme que fascinant dans le fond, Us finit par malheureusement tomber dans les mêmes écueils que Get Out. A commencer par le comportement totalement erratique de ses personnages dont les réactions n’ont d’autres fonctions que de faire péniblement avancer une intrigue qui fait du surplace. Arrivé à bout de course, Us nous rejoue la carte du film d’horreur qui fait peur mais aussi rire un peu en multipliant ruptures de tons incongrues, figures imposées et répétitions jusqu’à son final beaucoup trop capillotracté dans sa volonté de démystifier tout ce qu’il avait construit jusque-là. D’autant plus dommage que contrairement à Get Out, la portée métaphorique de son propos se tenait plutôt bien car beaucoup moins unilatérale dans son interprétation. Le temps d’un instant, Us nous aura donc bien fait cauchemarder (au bon sens du terme) avant de retomber dans les travers de son auteur. . Autant d’éléments qui laissent à penser que paradoxalement, Jordan Peele se révèlera plus efficace sur des formats plus courts comme les anthologies Weird City ou le reboot de La Quatrième Dimension qu’il produit et dans lequel il succède à Rod Serling. Peut-être faudra-t-il attendre un temps que la hype redescende, que la distance se fasse pour revoir le film et le reconsidérer autrement qu’à l’aune de sa trop flatteuse réputation.

Pas aussi réussi qu’attendu mais beaucoup mieux maitrisé que Get Out, Us symbolise parfaitement la dualité d’un auteur qui devrait davantage croire en sa singularité.