Parce que les rédacteurs de Cinevibe ont aussi leurs madeleines de Proust, nous avons décidé de créer une nouvelle rubrique sobrement intitulée « Déclaration d’amour à… ». Périodiquement, un rédacteur du site reviendra sur un film qui l’aura particulièrement marqué. Et quel meilleur moyen d’inaugurer la rubrique que d’évoquer le cultissime Last Action Hero réalisé par le grand John McTiernan auquel la Cinémathèque française consacre actuellement une rétrospective ? Prêt pour un meta voyage au pays des héros qui n’ont pas froid aux yeux ? N’oubliez pas votre ticket magique, il vous sera demandé à l’entrée. Bon voyage !
Sorti de prison en février dernier après un emprisonnement certainement abusif, John Mc Tiernan effectue un retour en grâce et prépare son nouveau film, Red Squad. Il a fait l’objet d’un hommage au Festival du Film américain de Deauville 2014 et la Cinémathèque Française lui consacre une rétrospective jusqu’au 28 septembre après une masterclass. La presse revient sur l’impact qu’il eut sur le cinéma d’action. Avec Piège de cristal, il renouvela le genre et imposa Bruce Willis comme l’un de ses acteurs majeurs. Predator, avec un Arnold Schwarzenegger en pleine forme, marqua la science-fiction. C’est dans le cadre de cette rétrospective que la Cinémathèque projète l’un des films les plus attachants et jouissifs du cinéaste. Il s’agit de Last Action Hero. Malgré son échec public cuisant et incompréhensible lors de sa sortie en 1993, ce métrage est devenu culte grâce au marché de la vidéo et marqua toute une génération : celle des années 80. Cela s’explique notamment par la présence d’Arnold Schwarzenegger qui tenait là un de ses rôles les plus intéressants et par l’histoire qu’il raconte. Qui n’a pas rêvé dans sa jeunesse d’être à la place de Danny Madigan, ce gamin propulsé de l’autre côté de l’écran pour suivre les aventures de Jack Slater, un flic invincible joué par Schwarzenegger, son acteur préféré ! Ce film fait partie, comme Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? ou encore Willow, de ceux que l’on a vu enfants ou adolescents et que nous prenons toujours plaisir à revoir, avec la nostalgie en plus. Il reste également un régal pour tout fan de Schwarzy qui se respecte. C’est un véritable festival de « punchlines », marques de fabrique de l’acteur. En incarnant son propre rôle en même temps que celui de Jack Slater, Arnold joue avec son image (les blagues avec le Planet Hollywood) et fait preuve d’un humour qui le rend sympathique. Il est aussi attachant dans le rôle de Slater, héros solitaire détruit par la mort de son fils. Sa relation avec Danny, qui ressemble à une relation père-fils, est touchante… C’est aussi un régal pour les cinéphiles : il y a un nombre incalculable de références cinématographiques, aussi bien visuelles qu’audibles. La mise en abyme créée par le film dans le film permet aux acteurs d’être présents en tant qu’eux-mêmes et en tant que leurs personnages. Certains font des cameo sympathiques, d’autres font des clins d’œil à d’autres rôles qu’ils ont joué dans le passé, tel le personnage joué par F. Murray Abraham contre qui Danny met en garde Jack « parce qu’il a tué Mozart »…

Mais réduire Last Action Hero à un film pour ados fans d’Arnold et pour ses clins d’œil serait « une monumentale erreur »… La richesse du scénario, due à Shane Black, qui a travaillé sur L’Arme fatale et réalisé les amusants Kiss Kiss Bang Bang et Iron Man 3, en fait un film d’action très intéressant. On peut l’interpréter comme une déclaration d’amour au cinéma et une réflexion sur celui-ci. Last Action Hero appartient à la lignée des métafilms fantastiques qui opèrent une mise en abyme ludique en nous montrant des personnages du monde réel et du monde filmique interagir ensemble et passer d’un monde à l’autre. La rose pourpre du Caire et Pleasantville appartiennent à cette lignée. Avec son allure de parodie de film d’action, le film de Mc Tiernan tient un discours critique sur certains aspects de son genre de prédilection, comme David Cronenberg l’a fait plus tard avec le film d’espionnage dans eXistenZ. Le côté « téléphoné » de certains événements, les clichés tels que le méchant bavard et le comique de service, l’invincibilité du héros et le spectaculaire des fusillades et des cascades sont volontairement exagérés et critiqués… Il pointe du doigt les différences entre le monde fictif et le monde réel qui sont régis par des lois inversées. Dans le monde filmique, les voitures explosent quand on tire dessus et on ne se blesse pas en cassant une vitre. Une fois passé dans le monde réel, Jack Slater constate à ses dépens qu’il en va tout autrement. Nous pouvons y voir là aussi une réflexion sur la définition de ce qu’est un vrai héros. Le héros du film d’action est indestructible : il n’a donc aucun mérite de s’en tirer et de sauver des vies car il ne craint rien. Dans la réalité, il peut à tout moment y laisser sa peau. C’est dans le monde réel que Jack Slater devient un véritable héros, puisqu’il commet des actions héroïques alors qu’il n’est plus qu’un homme. Ce rapport de la fiction au monde réel rappelle dans un genre différent les réflexions de Platon sur les bienfaits et les dangers de la fiction. Parmi les dangers, le risque d’ostracisme de la personne fascinée par la fiction, comme Danny qui sèche les cours pour aller au cinéma. Dans les bienfaits, l’aide qu’elle peut nous apporter pour accepter notre réalité et notre vie, trouver notre voie pour évoluer. Nul doute que Danny sera enrichi par cette expérience avec Slater, comme c’est le cas pour Tobey Mc Guire dans Pleasantville…

La référence à Shakespeare avec le clin d’œil au Hamlet de Laurence Olivier n’est pas non plus innocente. Quand Jack Slater comprend une fois passé dans notre réalité qu’il n’est qu’un personnage fictif incarné par Arnold Schwarzenegger, nous pensons tout de suite à la citation célèbre tirée de Comme il vous plaira : « Le monde est un théâtre et nous en sommes les acteurs ». Il comprend qu’il n’existe pas et qu’il n’a jamais existé et que sa vie entachée par des événements douloureux a été créée par Hollywood. C’est pour cette raison qu’il s’en prend à son alter-ego qui est Schwarzenegger, personnification du Destin comme les scénaristes et le réalisateur auxquels il ne peut échapper. Last Action Hero fait partie des grands films sur la condition du personnage, comme La rose pourpre du Caire, Truman Show ou Dark City. A la fin, il finit par accepter sa condition en retournant dans son monde et en laissant Danny profiter de la chance d’exister. C’est grâce à Danny et à ses fans qu’il aura l’impression d’exister de lui-même. Ne serait-ce pas la métaphore de l’acteur qui existe comme toute célébrité et tout artiste par ses fans ? Peut-on y voir un clin d’œil à John Mc Tiernan et à Arnold Schwarzenegger ? Si Mc Tiernan a pu revenir en grâce, c’est parque nous ne l’avons pas oublié, ni lui ni ses films. C’est ce qui a permis à Arnold de revenir après sa parenthèse politique, que ce retour soit plaisant (Le dernier rempart, Expendables 2), ou décevant (Expendables 3)… Occuperont-ils la même place que dans le passé ? Ne restera-t-il que la nostalgie ? L’avenir nous le dira. En attendant, nous pouvons nous replonger dans leur univers commun en retournant derrière l’écran avec Danny pour suivre les aventures de son personnage et de notre acteur de film d’action préféré.

Last Action Hero est projeté une ultime fois ce soir à 19h00 à la Cinémathèque française. Avis aux amateurs !