A moins de tout juste sortir d’une grotte, vous n’êtes pas sans savoir que depuis quelques mois, UN film en particulier fait beaucoup parler de lui. Et pas n’importe lequel, rien de moins que le plus mauvais film de ces quinze dernières années : le désormais célèbre The Room. Mais qu’est- ce donc que The Room ?
« Écrit », « réalisé », « interprété » (les guillemets à répétition sont volontaires et parfaitement compréhensibles pour quiconque a vu le film) par le très étrange Tommy Wiseau, The Room se veut un drame « à la Tennessee Williams » dans lequel un homme à qui tout réussit et interprété par Wiseau lui-même découvre que sa future femme le trompe avec son meilleur ami Mark. Plus qu’un coup dur, c’est une véritable trahison pour cet homme parfait qui n’est qu’amour et compassion envers son prochain et que tout le monde adore. Raconté comme ça The Room sonne comme un mauvais film de plus, un soap indigent comme on en voit par dizaine l’après-midi sur TF1 ou M6. Sauf que voilà : aux commandes on trouve donc l’inénarrable Tommy Wiseau, type totalement insondable aussi improbable dans son look qu’imprévisible dans sa manière d’être. Véritable « gueule » au passé totalement obscur, complètement à la ramasse, il nous a offert avec The Room un ego trip filmique fascinant de nullité, joué, écrit, monté en dépit du bon sens, bourré d’incohérences et de fonds verts absolument ignobles. Aujourd’hui auréolé d’une réputation de « film culte » comme avait pu l’être Plan 9 from Outer Space d’Ed Wood à une certaine époque, The Room fait toujours plus d’adeptes auprès d’un public proprement médusé. Depuis, Wiseau et son comparse Greg Sestero qui interprète Mark, font le tour du monde pour présenter leur chef d’œuvre à un public toujours plus nombreux et enthousiaste. Imaginez donc : durant les projections, le public particulièrement réceptif chahute, débite les répliques (le fameux « you’re tearing me apart Lisa » continue de faire les beaux jours de Youtube), lance des cuillères… Une véritable expérience interactive qui n’est pas sans rappeler les séances du Rocky Horror Picture Show dont The Room serait le pendant nanardesque en termes d’expérience collective.: à l’occasion de la sortie de la traduction française du livre The Disaster Artist écrit par Greg Sestero et revenant sur le tournage plutôt ubuesque de The Room, deux projections du film ont été organisées au Grand Rex, chacune complète. Un véritable phénomène de société qui n’a pas manqué d’interpeller Franco qui a décidé d’adapter le livre The Disaster Artist. La fascination du pire n’a jamais autant bien porté son nom !

LE LIVRE :
Lorsque Greg Sestero croise le chemin de Tommy Wiseau dans un cours de théâtre, il est loin de se douter que cette rencontre va bouleverser sa vie un peu pour le meilleur…surtout pour le pire ! Entre les deux hommes va rapidement se nouer une relation étrange constamment à cheval entre attraction (au sens large du terme) et répulsion, tendresse et incompréhension, chacun utilisant l’autre à un moment bien précis de sa vie. C’est cette amitié ambivalente, hautement toxique mais surtout totalement hors normes que décrit The Disaster Artist. Sestero y raconte aussi bien Tommy Wiseau – au gré des multiples versions toutes plus contradictoires les unes que les autres – que sa relation avec Wiseau qui sera passé par moults étapes avant de se transformer en amitié sincère mais davantage subie que choisie. Aussi inexpressif et beau que Wiseau est laid et exubérant, Sestero raconte comment il s’est fait happer par le « vampire » Wiseau pour ne plus être au final que Mark, son personnage de The Room qui ne cessera jamais de lui coller à la peau, comme un tatouage honteux et raté qu’on se sera fait faire un soir de beuverie ! Drôle dans sa première partie, le livre se mue de manière très subtile en quelque chose de plus insidieux, une sorte de mix contre nature entre J.F. partagerait appartement et Ed Wood pour finalement dresser un constat à la fois résigné et tendre, le tournage de The Room ne servant au final que de péripétie à ce long fleuve chahuté qu’est la relation Wiseau/Sestero. Ironique, mordant et souvent cruel, The Disaster Artist multiplie les ruptures de ton, fait souvent mouche dans ses analogies (Boulevard du Crépuscule et Le Talentueux Mr Ripley y sont régulièrement cités), ne ménage absolument jamais ses deux principaux protagonistes, losers magnifiques littéralement perdus dans une cité des anges qui n’a que faire d’eux. Car qu’est The Room sinon le « barou d’horreur » de deux hommes en manque d’alternatives ? The Disaster Artist sublime l’échec tout en y apportant une étonnante lucidité. C’est toute la beauté de cet ouvrage qui, s’il n’entrera pas dans les annales de la littérature a au moins le mérite de porter un regard édifiant sur les mécanismes d’une industrie qui engendre plus de bizarreries qu’elle ne veut bien l’admettre. Note : 7/10
The Disaster Artist de Greg Sestero et Tom Bissell. Sorti depuis le 23 janvier 2018 chez Carlotta.

LE FILM :
Dès ses premières images compilant une série de témoignages de stars évoquant le « génie » de The Room avec une ironie ultra-condescendante, le film adapté de The Disaster Artist pose problème. Non pas qu’il soit mauvais : il est assez drôle, plutôt bien écrit et interprété, la photo est belle, la réalisation fonctionnelle mais efficace et la tendresse de Franco pour ses personnages palpable du début à la fin. Mais voilà : quiconque aura déjà vu The Room ne manquera pas de se dire qu’il manque quelque chose, que Franco est malheureusement passé à côté de ce qui faisait le « sel » du film matriciel. Car non, contrairement à ce que veut nous faire croire le film (le livre est un peu plus ambigu sur ce point), The Room n’a pas été mu par des velléités cinématographiques mal digérées mais par une volonté de verser dans l’ego trip pur et dur. Comprendre par là que contrairement à Ed Wood, ce n’est pas la passion qui a motivé Tommy Wiseau mais l’intime conviction qu’il avait quelque chose à raconter et que l’attention devait forcément se focaliser sur lui du fait de cet indéniable talent qu’il pensait avoir. C’est donc l’ego pur et simple qui l’aura conduit à écrire, produire, réaliser et interpréter The Room. Une grille de lecture que Franco esquisse furtivement au détour d’un regard ou deux mais qu’il évite la plupart du temps de peur de rendre son personnage antipathique. Et c’est aussi là que le film loupe le coche : dans sa volonté de vouloir à tout prix tout lisser. Tant dans sa forme que dans son fond, The Disaster Artist apparait trop lisse aussi bien vis-à-vis de ses personnages que du livre dont il s’inspire et avec lequel il prend certaines libertés. Ainsi, la cruauté, l’ironie et surtout l’espèce de déterminisme latent du livre passent ici totalement à la trappe. On ne peut nier à The Disaster Artist ses bonnes intentions mais les choix qu’il fait notamment celui de donner le rôle de Tommy Wiseau à un James Franco perruqué qu’on croirait sorti d’un sketch du Saturday Night Live sont malheureusement totalement contre-productifs. Jamais Franco n’arrive à traduire le malaise que peut provoquer Wiseau et donc de facto, passe partiellement à coté de son sujet. On pourra même aller jusqu’à dire qu’il se fait piquer la vedette par son frère Dave qui incarne Greg. Ironie du sort : de l’autre coté de l’écran, c’est Tommy Wiseau qui fait son show devant un Sestero particulièrement effacé. Si The Disaster Artist est un livre aigre-doux, son adaptation cinématographique est, elle, juste douce et aurait gagné à être moins consensuelle. « Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende« , c’est précisément l’erreur commise par Franco qui a cru que sa légende dépasserait la réalité. Dommage. Note : 2,5/5
The Disaster Artist. Un film de James Franco. Avec James Franco, Dave Franco, Seth Rogen. En salles depuis le 7 mars 2018.

Et en parlant de légende, voici une petite compilations de vidéos dédiées à The Room dont une intéressante analyse du Fossyeur de Films et une chanson qui devrait vous rester longtemps en tête. Ne nous remerciez pas !