A l’occasion de la sortie de Sin City : J’ai Tué Pour Elle (en salles depuis le 17 Septembre), Cinévibe a eu la chance d’assister à la rencontre avec les deux réalisateurs du film, Frank Miller et Robert Rodriguez. Complices et souriants, les deux réalisateurs ont répondu précisément aux questions. La Masterclass s’est déroulée à la FNAC du Forum des Halles le 12 Septembre.
Après le choc initial et le succès foudroyant du premier Sin City, comment en êtes-vous venus à pondre un second film neuf ans après ?
Frank Miller : Ok, c’est mon tour de répondre à la question des neuf ans. Beaucoup de choses se sont passées. Les Weinstein, qui ont produit le premier film, ont changé de compagnie, et ils nous ont demandé, à Robert et à moi d’attendre. Et puis Robert et moi n’avons pas tendance à être oisifs, alors les projets se sont succédés les uns après les autres. Les années se sont écoulées et ce qui a fait le déclic, c’est quand Robert a trouvé la technologie idéale pour faire le film : la 3D.
Robert Rodriguez : Il a non seulement fallu envisager de tourner le film en 3D mais aussi avoir de nouvelles caméras.
F.M. : Il y a aussi le casting, ce sont des acteurs incroyables et très demandés. Il fallait jongler avec les agendas des uns et des autres, et même avec les « trucs » de Robert, ça a été compliqué.
L’un de vos « trucs » Robert – et c’est ce qui fait la différence avec le premier – c’est que les acteurs n’étaient pas tous réunis sur le plateau.
R.R. : Le fait que les acteurs ne soient pas tous présents au même moment, ce qui a été le cas sur Sin City : J’ai Tué Pour Elle, c’est quelque chose que j’ai appris en travaillant avec Ricardo Montalban sur Spy Kids 3. Il m’a dit que lors du tournage de Star Trek II : La Colère De Khan, William Shatner n’était pas présent sur le plateau. Il y avait juste une scripte qui lisait son texte d’un ton très dépersonnalisé. Et Ricardo Montalban a dû se mettre dans la peau du personnage et faire un effort extraordinaire. Lors de la première du film, Shatner a remercié Montalban car il a axé toute sa performance sur le jeu de Montalban. J’ai trouvé que c’était une excellente performance d’acteur, et donc, que c’était possible à faire. Dans Sin City : J’ai Tué Pour Elle, Mickey Rourke jouait seul sous fond vert, Jessica Alba est venue plus tard. Seuls Josh Brolin et Eva Green se donnaient la réplique.
F.M. : C’est pas évident d’avoir des personnages qui s’embrassent quand ils ne se rencontrent pas.
Pour les acteurs – et je sais que vous aimez les acteurs – ce doit être un vrai challenge pour eux de tourner devant un écran vert ?
F.M. : Le personnage de Nancy que joue Jessica Alba a une évolution dans ce film. La première fois qu’elle est arrivée sur le plateau, je la vois, je vais lui faire un gros câlin parce que ça fait 8 ans que je l’avais pas vue et elle m’a lancé un « Bonjour » très froid. En réalité, elle est arrivée sur le plateau, dans son personnage, sur la tombe d’Hartigan. C’est une fille absolument adorable, son personnage est ténébreux et il n’y a que hors-plateau que j’ai pu retrouver la vraie Jessica Alba.

Une bonne partie du casting est revenue. Ils étaient excités, ils avaient peur ?
R.R. : Ce qui était impressionnant, c’est qu’ils étaient tous meilleurs acteurs en arrivant. Lorsque le 1er Sin City a été tourné, les acteurs ne s’attendaient pas à ce qu’ils allaient voir. Le fond vert était nouveau pour eux. Ils se demandaient ce qu’allait être le résultat final. Lorsqu’ils ont vu le film, ils ont été enchantés. Quand on a fait le 2, ils sont revenus et ils maîtrisaient bien plus l’exercice.
F.M. : Jessica Alba est vraiment montée de plusieurs crans. C’est devenu une actrice beaucoup plus performante.
C’est un cas unique d’adaptation de bande-dessinée, au plan près, avec une esthétique préservée. Ce film-ci va encore plus loin que le premier ?
F.M. : Je vais commencer et Robert terminera. J’avais eu des expériences un peu malheureuses d’écriture de scénarios à Hollywood et je n’avais qu’une seule envie, retourner faire de la bande-dessinée. Je voulais créer mon Comic. J’ai toujours voulu faire de la bande-dessinée policière, criminelle, noire. J’ai donc fait Sin City, et de ce fait, je l’ai vraiment fait pour que ce soit inadaptable sur grand écran. Mais je n’avais pas prévu que ce cinglé de Texan arrive et me fasse une proposition.
R.R. : J’ai toujours aimé l’univers de Frank Miller, Sin City plus particulièrement. Je savais que si on en réalisait une adaptation sans conserver l’univers visuel, ce serait une catastrophe. Je n’ai pas voulu faire une simple adaptation. J’ai voulu transformer le film en bande-dessinée. Fort de l’expérience acquise sur un Spy Kids où j’avais utilisé la technologie du fond vert, je suis allé voir Frank et je l’ai emmené dans mes studios à Austin pour lui montrer ce que ça pouvait donner.
F.M. : J’ai évidemment refusé sa proposition une fois, puis deux fois. Robert est venu me voir une troisième fois en me disant qu’il a des amis acteurs pour tourner juste une scène. Il m’a demandé d’assister au tournage de cette scène. Il m’a dit qu’on s’amuserait à le faire, chez lui à Austin. On a donc tourné la scène d’ouverture du premier Sin City et si ça me plaisait on continuait, et si ça me plaisait pas, on aurait toujours eu un DVD à montrer à la famille et aux amis. Le déclic pour moi de tourner cette scène a été le moment où Marley Shelton, le personnage féminin vient me voir pour me dire « Pourquoi exactement est-ce que j’embauche quelqu’un pour me tuer ? » Et là, c’était un rêve absolu qu’en tant qu’auteur nous n’avons pas l’habitude de réaliser. C’était génial d’expliquer toute la biographie passée du personnage, tout ce qui n’apparait pas dans le script. Elle est retournée sur le plateau et a été mille fois plus performante qu’à la première prise. Et c’est là que je suis allé voir Robert en lui donnant un coup de pied dans les chevilles et je lui ai dit « J’en suis ! ».
Le fait d’être co-réalisateur était une bonne raison d’accepter ?
F.M. : Oui, je ne l’aurais peut-être pas fait s’il n’y avait pas la co-réalisation. Être auteur de BD est un processus solitaire que j’adore. On est sur sa table, on dessine, on tombe les planches les unes après les autres mais on est très seul. Ce qui a été la révélation pour moi, c’était d’apprendre que je me retrouvais sur un plateau avec un co-réalisateur, un partenaire d’exception et en même temps, ça m’a permis de voir que je pouvais m’entendre avec les gens, que je pouvais travailler avec toute une équipe. Et ça, c’était une expérience enrichissante et fabuleuse.

Vous partagez-vous les tâches quand vous réalisez ?
F.M. : Non, la manière dont on travaille, c’est qu’on fait tout ensemble. On est tout à fait d’accord sur l’objectif à atteindre. Là où on diffère et où on discute parfois ouvertement, c’est sur la manière d’y arriver. Donc le plus souvent, on fait deux prises. Une sous ma direction, l’autre sous celle de Robert. Ensuite, on visionne les rushes et là on se dit « Ça, c’est la bonne prise ! ». Seulement, on se regarde et on ne se souvient plus de qui a décidé la prise. Voilà comment ça fonctionne.
Le plus fidèle à la bande-dessinée, celui qui ne veut pas en bouger, c’est vous Robert Rodriguez, contrairement à ce que l’on pourrait penser ?
R.R. : Effectivement, c’est vrai que quand on écrit pour la première fois et que l’on est dans un exercice narratif, on est dedans, on est dans une certaine zone psychologiquement parlant. Il est intéressant de revenir dessus. Mais parfois, ça peut faire une version différente alors que la première était tout à fait passionnante. C’est vrai que Frank a écrit le scénario, et il y a des choses que moi, j’ai remis dedans. Des choses qu’il avait enlevé et que j’ai rajouté. Par exemple, à un moment, il nous manquait un dialogue entre deux personnages ou deux scènes, et on a été rechercher dans la BD le dialogue manquant et tout y était. J’avais envie de préserver la pureté du travail original de Frank. Quand c’est parfaitement bien fait au départ, pourquoi changer ?
F.M. : Il y avait une phrase que Robert utilisait souvent quand je voulais changer quelque chose. C’était « Trop tard, tu l’as déjà encré ».
Excepté l’apport de la 3D et les nouvelles technologies et excepté la manière dont vous racontez l’histoire, qu’y a t-il de meilleur pour vous par rapport au premier film ?
F.M. : Au départ, quand Robert m’a dit qu’il voulait faire le film en 3D, j’avais un petit peu peur. J’avais des visions de dinosaures, de cafards géants qui allaient arriver de l’écran trop vite pour qu’on puisse comprendre ce qui se passe. Puis Robert m’a rassuré en me disant que la manière dont j’écris et je dessine, c’est que je réduis tout aux éléments narratifs essentiels. Il m’a donc montré qu’il était capable de prendre cette technique et de la développer au maximum. Inutile de dire que j’étais extrêmement enthousiaste et excité. Il y a deux choses que j’ai apprises en travaillant avec Robert. La première, c’est qu’il a généralement raison. La deuxième, c’est qu’il ne faut pas le mettre au défi et lui dire « Est-ce qu’on peut faire ça ?». Il faut juste lui demander « Comment est-ce qu’on peut le faire ? ». Au fait, Robert, tu penses que ce qu’il traduit (en pointant l’animateur/traducteur) est vraiment fidèle à ce que l’on dit ?
R.R. : Sa traduction est meilleure que nos réponses.
L’animateur : Impossible. Non, je ne le fais pas. Je parle d’autre chose.
F.M. : Il parle de politique.
L’animateur : Non, c’est trop « Noir ».
Y aura-t-il un Sin City 3 ?
R.R. : Si le public soutient le film, il n’y a pas de raison qu’on ne le fasse pas. Il y a des livres qu’on aimerait utiliser. On serait très excités de le faire.
F.M. : Je suis prêt à le faire, Robert. Sortez et allez le voir et appréciez-le autant que j’ai apprécié à le faire.

Questions des spectateurs :
Le résultat final du film, c’est ce que vous vouliez initialement ? Ou avez-vous tourné des séquences qui ne sont pas dans le film et que l’on pourra voir ultérieurement ?
F.M. : Ce n’était pas le résultat attendu. Ça a surpassé nos attentes. Sur le plateau, on a vraiment créé. On ne refait pas ce que l’on a déjà fait sur le premier. Robert et moi rebondissons l’un sur l’autre et ça en devient complètement dingue sur le plateau. Il y a toujours des surprises, c’est toujours vivant. Un exemple de chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’était la performance incroyable de Joseph Gordon-Levitt qui m’a poussé à réécrire entièrement des dialogues de son personnage. Il faut dire aussi qu’avec des tels acteurs tels que Jessica Alba, Mickey Rourke et plus particulièrement Eva Green, je me sentais obligé d’écrire un meilleur script tant leurs performances étaient extraordinaires ! Le script n’est pas quelque chose de statique, on peut toujours l’arranger.
R.R. : Il y a moins de scènes coupées dans ce film-ci que dans le premier film car il est déjà plus court. Le premier, c’était vraiment de la matière très dense donc il y avait beaucoup de choses. Vous aurez en revanche un « behind-the-scenes » sur le DVD.
Frank Miller, avez-vous coaché les acteurs pour qu’ils ressemblent le plus possible aux personnages de votre BD ? Robert Rodriguez les a coaché de son côté ? Comment s’est passé le coaching des acteurs ?
F.M. : L’idée, c’est davantage de révéler des talents, de révéler la force des acteurs, plutôt que de les pousser dans une direction. Le scénario est assez primitif. C’est eux qui font le nécessaire pour faire ressortir le personnage.
Quentin Tarantino avait fait un « caméo » de réalisation sur le premier Sin City. En a t-il fait un dans celui-ci ? Allez-vous retravailler avec lui ?
R.R. : Il n’a pas fait de « caméo » de réalisation sur Sin City : J’ai Tué Pour Elle car il était trop occupé sur Django Unchained. On travaille ensemble environ tous les 10 ans, donc là, c’est bientôt le moment. Sinon, j’ai une émission aux États-Unis qui s’appelle The Director’s Chair où j’interviewe quelques réalisateurs comme John Carpenter, Guillermo Del Toro et Francis Ford Coppola. L’émission dure à peu près une heure et j’en ai fait une avec Quentin Tarantino et on a parlé pendant 5 heures ! On a parlé de ses films à lui, de la manière dont il réalise et il a fait une lecture d’Inglourious Basterds et de Kill Bill. C’était extraordinaire. On a des projets de fictions ensemble même si il travaille sur un nouveau film, mais rien n’est encore déterminé. Mais ça va certainement se faire.

Aura-t-on droit à Machete Kills Again… In Space ?
R.R. : Danny Trejo m’a appelé hier. Il faut que je le rappelle et que je vois ce qu’il veut faire. Il m’appelle toujours. Je suis surpris qu’il ne m’appelle pas maintenant.
Vous n’avez jamais pensé à faire de Sin City une série TV ?
F.M. : On a discuté de beaucoup de projets, mais là on est surtout axé sur Sin City 3. Mais pour cela, je vous en prie, allez voir le 2, recommandez-le à vos amis.
R.R. : Allez voir Sin City : J’ai Tué Pour Elle et on fera un 3, et une série TV !
SIn City est la seule adaptation que vous avez faite. Est-ce qu’il y a d’autres adaptations qui vous intéressent ou préférez-vous vous concentrer sur vos propres films ?
F.M. : Actuellement, Robert est en train de travailler sur une adaptation de Blanche-Neige (rires).
R.R. : J’aime bien passer de l’un à l’autre, faire mes propres histoires ou travailler sur ceux des autres comme celle de Quentin Tarantino sur Une Nuit En Enfer ou celle de Kevin Williamson sur The Faculty. Ce qu’il y a avec Sin City, c’est que c’est tellement unique, c’est un univers tellement différent de tous les autres que je ne vois pas ce que je pourrai faire d’autre.
F.M. : Ne le fais pas. Ou fais Les 4 Fantastiques 5 !

Question métaphysique : Si vous étiez chacun réalisateur, lequel auriez-vous voulu être ?
F.M. : Stanley Kubrick. Il y a tellement de choses à apprendre de lui.
R.R. : Alfred Hitchcock. RIen que pour comprendre son génie.
Merci à la Fnac du Forum des Halles et à Audrey Bouchard du groupe Fnac.
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