Séance de rattrapage : critique Enemy

 

Un film de Denis Villeneuve. Avec Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Isabella Rossellini. Sortie depuis le 27 août 2014.

 

 

Dans son 5e film, le réalisateur d’Incendies et de Prisoners nous plonge dans la vie d’un prof de fac (Jake Gyllenhaal) qui se découvre un double. Amateurs de films-labyrinthe à la David Lynch, ce film est fait pour vous !

 

 

Note : 3,5/5

 

«Le chaos est un ordre qui n’aurait pas encore été déchiffré ». Cette citation qui apparaît à l’ouverture d’Enemy, adapté du roman « L’autre comme moi » de José Saramago, résume parfaitement l’esprit du film. Le public qui a découvert Denis Villeneuve avec Prisoners, réalisé après mais sorti avant pour des raisons de distribution, va forcément être désappointé par ce métrage dont le sens est réellement à déchiffrer. D’autant plus que la dernière image va en laisser plus d’un perplexe. A part une scène étrange au début du film, les repères semblent simples : nous nous trouvons dans une histoire de double. Un prof de fac discret, qui vit avec une femme une relation épisodique, regarde un film sur les conseils d’un collègue et voit son sosie parmi les figurants. A partir du moment où il entre en contact avec lui, leur vie à tous les deux est bouleversée. Il en va de même pour la femme enceinte du sosie et des repères du spectateur… A celui-ci de rester en éveil et de faire sa propre interprétation de ce qu’il voit et entend … Ce film, qu’il faut revoir pour en comprendre les subtilités, prouve une nouvelle fois que Denis Villeneuve est un réalisateur qui compte. Aussi à l’aise dans le film indépendant (Enemy) que dans le film hollywoodien (Prisoners), il n’a plus rien à prouver concernant la maîtrise de sa mise en scène (elle était déjà visible dans Incendies, notamment dans la scène du bus). Dans Enemy, elle est au service d’une atmosphère, d’un sentiment : celui de l’inquiétante étrangeté de Freud.

 

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La lenteur qui peut rebuter et des images dont l’origine est inexpliquée nous évoquent le spécialiste de ce sentiment transposé au cinéma qui est bien entendu David Lynch. Impossible dans la scène d’ouverture de ne pas penser à Lost Highway. Il y a aussi du David Cronenberg, un plan semble directement faire référence à Spider. La couleur terne des images rappelle celles de The Machinist, Villeneuve donne la même vision inquiétante de Toronto que celle de Barcelone proposée par Brad Anderson. Grâce à cette mise en scène, nous ressentons les tourments des personnages et nous nous perdons dans un labyrinthe d’images dont le sens peut varier selon chacun. Peut-être est-il plus exact de parler de toile d’araignée que de labyrinthe (le labyrinthe fait plutôt partie de l’intrigue de Prisoners), vu les nombreuses occurrences de plans d’araignées qui rappellent celles de l’artiste Louise Bourgeois… Hasard du calendrier – le hasard fait parfois bien les choses – Enemy sort peu de temps après The Face of Love et The Double qui traitent aussi du thème du Double. Raté dans The Face of Love et moins réussi que l’atmosphère kafkaïenne dans The Double, le traitement de ce thème dans Enemy est de loin le plus intéressant. Il apporte une réflexion sur l’identité et montre bien le malaise provoqué par cette ressemblance sur les doubles et leur entourage. Quant aux acteurs, Jake Gyllenhaal est impressionnant dans son rôle miroir et Sarah Gadon, qui joue la femme du sosie, est très convaincante.

 

Denis Villeneuve nous montre une nouvelle fois son talent avec ce labyrinthe psychique en forme de toile d’araignée dans lequel on ne peut que se perdre. A voir et à revoir, Enemy fera sûrement l’objet de multiples interprétations et de longues discussions passionnées.

 

 



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